Critiques // Critique • « So Blue » de Louise Lecavalier au 104

Critique • « So Blue » de Louise Lecavalier au 104

Mar 01, 2014 | Aucun commentaire sur Critique • « So Blue » de Louise Lecavalier au 104

critique May Lee

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© Cornellier

Une transe sans adresse

Avant que la musique ne retentisse, une femme en survêtement fait les cent pas sous nos yeux. Elle attend. Que la musique s’élance. On la sent comme un fauve prêt à bondir, elle semble se recharger à ce silence qui précède le son. Puis le beat retentit, pulsation technorientale, et Louise Lecavalier sort de sa cage. Fort, tout de suite. Sans prélude. Sans cette lente montée qui caractérise la progression de la transe soufie à laquelle sa musique fait référence. Des mouvements quasi-épileptiques parcourent son corps. Hyperventilation, mouvements frénétiques de la tête de gauche à droite, elle arpente le plateau portée par cette gestuelle évoquant la perte de contrôle et pourtant très maitrisée. On la voit chercher sa propre limite, saccadant le geste à l’extrême, réduisant l’espace à une table de dissection du mouvement par la vitesse. Haletante, elle se pose enfin. Sur la tête. Dans cette posture yoguique, elle nous offre son thorax nu, la forge de ses côtes allant et venant pour ramener le cœur au pas. De longues minutes. La musique s’est apaisée et, peu à peu, le souffle s’assoit dans sa cage. On est presque face à une planche d’anatomie, tant cette vision du corps respirant est dénué de visage, de personnalité. La mécanique du souffle à l’état brut. Puis Louise repose les pieds sur terre, change de tee-shirt devant nous et reprend sa danse tectonique, cette fois accompagnée d’un acolyte, Frédéric Tavernini. Au début, la présence de cet homme à ses côtés ne change rien, chacun demeure dans sa bulle épileptique, dans une totale indifférence à l’autre. C’est un peu comme regarder danser des étrangers en discothèque : deux solitudes qui ne se rencontrent pas. Puis un rapport s’instaure, quasi-marionnettique : il la saisit, la traine, la fait tournoyer, hachant le mouvement jusqu’à le réduire en miettes. Jusqu’à l’effondrement.

Ce que l’on peut admirer ici, c’est la recherche du hors-limite. On voit clairement l’artiste faire une expérience sur son propre corps, et en ce sens, sa proposition relève davantage de la performance que de la représentation. Le processus d’épuisement du mouvement rétrécit peu à peu son vocabulaire chorégraphique, générant assez rapidement une sensation d’ennui. A l’image du beat techno, le mouvement patine et se redit encore et encore, clos sur lui-même. Et c’est tout le paradoxe d’un spectacle inspiré par la transe et qui énonce des liens avec la quête d’extase des soufis. Le Ney, remixé ici avec la techno, est pour eux l’instrument de l’âme par excellence, la flûte du corps par où passe le souffle de Dieu. La vocation de cette musique et de la transe est l’extase de l’union avec la divinité. Or, dans ce spectacle, difficile de trouver la trace d’une quelconque verticalité. Cette tentative de chorégraphier la perte de contrôle mène au contraire à un hyper-contrôle d’où toute transcendance est absente. Une transe sans adresse.

So Blue
Concept et chorégraphie: Louise Lecavalier
Création et interprétation : Louise Lecavalier, Frédéric Tavernini
Assistante à la chorégraphie et répétitrice : France Bruyère
Conception lumières : Alain Lortie
Musique : Mercan Dede
Musique additionnelle : Normand-Pierre Bilodeau, Daft Punk, Meiko Kaji
Remixage : Normand-Pierre Bilodeau
Costumes : Yso


Jusqu’ au 6 mars à 20h30


Le 104
5 rue Curial 75019 Paris
Métro : Riquet
Réservation : 01 53 35 50 00
www.104.fr

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