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Critique • « Les Ruines », Villes des Musiques du Monde au Théâtre de la Commune

Nov 04, 2013 | Aucun commentaire sur Critique • « Les Ruines », Villes des Musiques du Monde au Théâtre de la Commune

ƒ critique Djalila Dechache

alatlal

© Marc Daniau

La culture arabe est absente des scènes françaises et européennes. C’est bien dommage, pas seulement pour ses artistes et ses auteurs. Heureusement, Sharif Andoura est là pour compenser cette lacune en associant deux grandes figures incontournables de la culture et scène arabes: Om Kalsoum et Mahmoud Darwich. Pour faire cela, il faut être fin connaisseur, fin goûteur de beauté et de sens, cela ne peut être le fruit du hasard ou d’un choix irréfléchi. 

Le spectacle de Sharif Andoura commence par le prologue du texte mythique « Al Atlal » -« Les Ruines »-, de l’auteur Ibrahim Naji, dans une orchestration inoubliable de Riad Sombati en 1966, magistralement interprété par la diva égyptienne Om Kalsoum. C’est ainsi que les artistes, auteurs classiques, chanteurs de tarab-extase, poètes, commencent toute œuvre: par un lamento qui déplore ce qui reste du campement de la belle comme autant de signes de son départ, en référence à la tradition classique antéislamique conservée par quelques textes nommés Les Mou’laquats -Les Suspendues.

 Il se passe alors quelque chose sur la scène du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, on entre dans un univers, dans un monde qui va nous emporter, c’est la puissance de cette langue arabe classique, lorsqu’elle est bien écrite, bien dite, bien chantée dans les codes qui lui sont propres. Matthieu Cruciani, le metteur en scène, a restitué une atmosphère entre rêve et réalité, facilitant le voyage fascinant vers l’Orient si proche. Sharif Andoura apparaît sur scène dans une simplicité désarmante, sans aucun artifice, tenant serré contre lui, dans ses bras, affectueusement, délicatement, la pochette du disque 33 tours de la reine du tarab. Il lit , chante, déclame en arabe et en français la chanson qui est bien plus qu’une chanson, tous les arabes le savent. La construction de cette langue contient toujours plusieurs registres de sens, elle est plaidoyer, manifeste, hymne, injonction à se lever pour reconstruire, à cesser de pleurer, à se libérer des chaînes qui entravent, que l’on soit femme, homme, société, nation, pays, monde plié par l’oppresseur. 

al-atlal-960x340© Sami Ben Gharbia

Qui ne se reconnaîtrait pas dans ces vers ? 

« Donne-moi ma liberté, lâche mes mains

J’ai tout donné il ne me reste plus rien

Mes  poignets saignent

Pourquoi garderais-je ces chaines alors

Qu’elles n’ont plus d’effets sur moi

Pourquoi croire aux promesses que tu n’as pas tenues

Je n’accepte plus ta prison

Maintenant le Monde m’appartient. »

Le spectacle se poursuit avec des extraits de textes de Mahmoud Darwich et non des moindres « Une mémoire pour l’oubli » et son dernier, que lui-même a lu de son vivant, « Le joueur de dés ». Tout nous revient du poète : l’odeur du café, la métaphore de l’hirondelle, l’inspiration, chance des poètes, les nouvelles sont celles qu’on lit pas celles qu’on entend… et on a envie d’ajouter la phrase de René Char, poète qu’il aimait : «  Notre héritage n ‘est précédé d’aucun testament », autrement dit notre héritage est notre mémoire à condition que nous, les présents, les maintenions vivants. C’est en disant le monologue de Darwich, composé uniquement de verbes, que Sharif Andoura se transforme complètement, visage, corps et voix. La langue arabe a ce pouvoir de transcender ceux qui lui font confiance. À ses côtés, le musicien silencieux Camel Zekri, l’ami fidèle, l’artiste accompli, le magnifique poète de l’oralité. On sent en lui un bouillonnement intérieur, contenu, tout en finesse dans sa taille impressionnante. Tous deux étaient déjà réunis l’an passé pour la création « Sous la peau » en hommage à Franz Fanon.

Rappelons que, dans ce théâtre de la Commune, en 1997, dans le cadre du Printemps Palestinien, Mahmoud Darwich est venu dire quelques-uns de ses textes et ce fut un éblouissement et une immense découverte pour beaucoup de monde en Europe.

Par ailleurs, j’adresse mes encouragements aux participants de la première partie du spectacle avec Dgiz, musicien, freestyler étonnant avec sa contrebasse, ruppeur (rap d’utilité publique) et chef de troupe des rappeurs en herbe qui ont suivi un atelier d’écriture. Souhaitons-leur de poursuivre cette démarche afin d’entrer davantage dans le chemin de l’écriture, de la culture, de l’art, en un mot de la vie.

Les Ruines, Al Atlal
De Sharif Andoura
D’après Oum Kalsoum, Mahmoud Darwich
Mise en scène Matthieu Cruciani
Avec Sharif Andoura, Camel Zekri
Musique originale Camel Zekri
collaboration artistique Younès Anzane
Scénographie et costumes Véronique Leyens
Lumières Mathilde Chamoux
Son Arnaud Olivier
Vidéo Alex Pou

Festival « Villes des Musiques du Monde »
4 avenue de la Division Leclerc
93300 Aubervilliers
Tél : 01 48 36 34 02

www.villesdesmusiquesdumonde.com

 

 

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