ƒ Critique de Camille Hazard
© Pascal Victor
S’entourant, depuis les années 60, d’œuvres et d’auteurs déchirants comme E. Bond, B. Brecht, H. Ibsen, A. Tchekhov… le metteur en scène allemand Peter Stein prend le contre-pied de sa carrière en mettant en scène, cette fois en français, Le prix Martin d’Eugène Labiche. Ecrite en 1876, cette pièce destinée à la scène de la Comédie Française, sera finalement représentée au Palais Royal.
« Quand on est dans la merde jusqu’au cou, il ne reste plus qu’à chanter »
Le prix Martin, comédie sur les mœurs bourgeoises, expose la vie sexuelle de trois couples avec toute l’hypocrisie, la décadence, les quiproquos, les imbroglios que cela impose ! L’écriture est ciselée, le ton léger mais sous les apparats d’un vaudeville pétillant, Labiche règle ses comptes avec la bourgeoisie de son époque. Tout au long de ses pièces, la critique de Labiche se veut de plus en plus acerbe et ironique à l’égard des privilégiés. Le sexe, dans tous ses états, est omniprésent pour nous faire rire mais il est prétexte aussi, à montrer les travers cachés, les petites monstruosités si bien cachées dans ce monde de superbes. Il y a ce qu’on dit devant et ce qu’on dit par derrière ! Nous nous trouvons spectateurs d’une vie mondaine faite de phrases fleuves pour contenter les esprits, mais aussi témoins de l’envers du décor, empli de trahisons, de pensées blessantes et d’égoïsme.
Une pièce osée pour l’époque dans laquelle Labiche parle d’amitié fusionnelle entre deux hommes, sur le point de dégénérer en étreinte amoureuse…
« Pas de Marivaudage, il a des preuves ! »
La mise en scène de Peter Stein oscille entre partis pris sages, parfois même un peu longs, et bouffonneries. Il faut, de temps en temps, attendre que la machine reparte! Saluons l’acteur Jean-Damien Barbin, dans le rôle du valet de Martin. Perdu dans un pantalon trop large, il est le clown, l’arlequin qui amène l’air vif. Des lazzis très drôles viennent pimenter les scènes mais Peter Stein ne semble pas être allé au bout du geste ; on regrette que ces moments de comédia s’arrêtent si rapidement. Beaucoup de propositions de jeu auraient pu être étirées et grossies. L’acteur Laurent Stocker, interprétant Agénor, ami de Ferdinand Martin, nous offre une scène succulente de convalescence à Chamonix ! Retenons également la scène quasi muette entre le valet Pionceux et la servante d’une auberge suisse ; nous voilà une fois de plus transportés chez Marivaux, dans une partie de cartes entre Arlequin et Cléanthis !
Jacques Weber, bedonnant, ridicule sous une perruque d’étoupe, impose un jeu ample, accentué d’un maintien suffisant et d’expressions de gosserie.
Les décors de Ferdinand Woegerbauer sont justes, mais sans parti pris réel. Nous sommes, au début, dans le salon bourgeois de Ferdinand Martin puis dans les halls d’hôtels en Suisse.
Une belle et propre interprétation de cette pièce de Labiche dans laquelle on aurait tout de même souhaité voir des choses qui dépassent de leur cadre.
Le prix Martin
D’Eugène Labiche
Mise en scène Peter Stein
Décor Ferdinand Woegerbauer
Costumes Anna Maria Heinrich
Lumière Joachim Barth
Maquillage et coiffure Cécile Kretschmar
Avec Jean-Damien Barbin, Rosa Bursztein, Julien Campani, Pedro Casablanc, Christine Citti, Manon Combes, Dimitri Radochevitch, Laurent Stocker, Jacques Weber.Jusqu’ au 5 mai 2013 (mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h)
Odéon-Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon – 75006 Paris
M° Odéon
Réservation 01 44 85 40 40
www.theatre-odeon.eu