Critiques // Critique • « Le faiseur » de Balzac, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota aux Abbesses

Critique • « Le faiseur » de Balzac, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota aux Abbesses

Mar 22, 2014 | Aucun commentaire sur Critique • « Le faiseur » de Balzac, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota aux Abbesses

ƒƒƒ critique d’Anna Grahm

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« Les sentiments s’en vont, l’argent les pousse »

Mercadet est un homme fini. Mercadet est un homme ruiné. Mais c’est aussi le spécialiste des retournements. Un bluffeur, un flambeur, un Madoff. Il vit comme un nabab, s’habille de fausse opulence et vend de fausses informations. Car l’homme d’affaires est habile, tour à tour touchant et cynique, pétillant et souffreteux, il ne doute de rien pour gagner du temps. Il faut dire qu’il n’est pas à un revers de fortune près. Il a l’habitude de cette guerre des nerfs, espère et désespère sans jamais s’avouer vaincu, sans jamais baisser les bras. Même criblé de dettes, il se bat pour obtenir des délais de paiement. Même fait et refait, même surendetté jusqu’au cou, il continue d’inspirer le respect, sait distiller la peur et parvient à faire croire qu’il brasse, brasse beaucoup d’argent.

Pourtant sa situation est critique, ses créanciers ne le lâchent pas, viennent et reviennent, affluent de partout, pullulent comme des rats. On menace de saisir le mobilier, de jeter sa famille à la rue. Mais l’homme est rusé, use les vieilles ficelles du mensonge et de l’apitoiement. Car cet homme-là est prêt à tout pour s’en sortir, trouve toujours quelque chose pour « payer ses dettes sans sortir un sou ». Cet homme-là paie d’ordres, « ne rend pas ce qu’il emprunte » et joue sur les sentiments. Comme chez lui tout est virtuel, on n’hésite pas à se défausser, à corrompre, « à promettre des sommets pour obtenir des sourires aimables ».

Mercadet compte sur l’élégance et le charme enjôleur de sa femme pour enfumer son monde, il spécule sur le mariage de sa fille, hypothèque son avenir pour se renflouer, extorque à son meilleur ami du liquide pour parvenir à ses fins.

« La vie est un emprunt perpétuel »

Pour nous raconter cette histoire, Emmanuel Demarcy-Mota installe sa petite famille sur un sol mouvant. Les personnages sont en perpétuel déséquilibre. Son plateau devient une mise en abyme des fluctuations des marchés financiers, des connivences boursières, des jeux de dupes des traders. Et les hommes subissent les creux et les pics, et les hommes écopent, endurent. Ici la terre danse sous leurs pieds, s’incline, verse et balance. Comme un navire oscille de gauche à droite, d’avant en arrière, forçant les hommes à s’agripper. « Il y a des gens qui ont trop et d’autres pas assez ». Il y a surtout ceux qui feignent et qui ont faim. Il y a les domestiques qui s’inclinent et font le dos rond et les maîtres sur la pente raide qui s’emploient à plaire à tout prix, qui ploient sans jamais rompre.

Sur le plancher animé, des êtres déboussolés qui marchent de biais, un panier de crabes, un nid de serpents. Rien n’est jamais stable, le décor plie et se déplie, le parquet respire, aspire petits et grands, fait glisser dans un même mouvement, escrocs et honnêtes gens. Ralentis, couleurs et chant, mettent sur un même pied, gravité et folle comédie.

Money, money, money chantait le groupe Abba en 76. Le monde venait alors de découvrir la crise économique. La dématérialisation de la monnaie, nous dit aujourd’hui le chanteur, pourrait mettre un frein au besoin de cash, trafics et fuites en tout genre.

En attendant les factures s’allongent, en attendant Godot (hé oui l’homonymie joue à plein), en attendant on relit Balzac et on s’émerveille de sa modernité. En attendant l’hypothétique retour d’un Godeau, on ironise, on parodie : « aujourd’hui la dette est la richesse de tous les gouvernements ».

Dans ce salon surréaliste, à l’horizon incertain, on croit à la supercherie, on affirme qu’on est solvable, on entonne l’intenable avec un aplomb qui ressemble au chant du cygne.

Le faiseur
de Honoré de Balzac
Mise en scène de Émmanuel Demarcy-Mota
Assistant à la mise en scène Christophe Lemaire
Scénographie et lumière Yves Collet
Costumes Corinne Baudelot
Avec  la troupe du théâtre de la ville
Serge Maggiani, Valérie Dashwood, Sandra Faure, Jauris Casanova, Philippe Demarie, Sarah Karbasnikoff, Gérald Maillet, Charles-Roger Bour, Walter N’guyen, Stéphane Krähenbühl, Pascal Vuillemot, Gaëlle Guillou, Céline Carrière

Théâtre des Abbesses
31 rue des Abbesses
75018 Paris
Métro Abbesses ou Pigalle

Du 18 mars au 12 avril à 20h30
Le dimanche 30 mars et 6 avril à 15h

Réservation 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com

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