ƒƒ critique Djalila Dechache
©Christophe Raynaud de Lage / collection Comédie-Française
Harold Pinter est fasciné par les rapports humains pris dans leur contexte historique et social. Né en 1930, sa génération a connu l’après-guerre, le racisme et l’antisémitisme, l’holocauste, la menace atomique, le chômage, la pauvreté. Engagé et militant actif auprès d’Amnesty International et du mouvement pacifiste antinucléaire, son œuvre porte ses combats en faveur de l’Irlande, de la communauté juive, pour les droits de l’homme et contre la médiocrité du quotidien.
L’Anniversaire, pièce écrite en 1957 a été jouée en Angleterre, sans grand succès. En France, Claude Régy la met en scène en 1967 au théâtre Antoine à Paris et fait découvrir le dramaturge. Éric Kahane, traducteur de l’œuvre de Pinter utilise la métaphore suivante pour évoquer la pièce : « insectes qui se débattent contre leurs propres fantômes, Pinter les peint avec une précision d’entomologiste ». Les spécialistes du dramaturge et cinéaste anglais, lauréat du prix Nobel de littérature en 2005, s’accordent à dire que ce qui traverse son œuvre est « sa voix contre l’hypocrisie et le mensonge ». Certes, il n’est pas le seul, d’autres dans les années 60, les fustigent également en y ajoutant la vacuité de la vie, Ionesco, Beckett, Artaud, mais aussi René Char et Jacques Derrida, tous s’inscrivent dans le mouvement de la fragmentation.
« La quête de la vérité ne peut jamais s’arrêter. Elle ne saurait être ajournée, elle ne saurait être différée. Il faut l’affronter là, tout de suite. » Harold Pinter
« Le théâtre de la fragmentation privilégie l’idée de rupture à la fois dans leur thématique et dans leur langage (…) comme pour permettre aux spectateurs d’être sensibles aux forces qui régissent l’univers contemporain ». Brigitte Gauthier, Harold Pinter, Le maître de la fragmentation, l’Harmattan, 2003.
Et cela se ressent dans l’écriture, dans le jeu des comédiens et pour le public. Il y a des silences, des pauses, des questions restées en plan : « Le silence de Pinter est un langage très bavard » C. Régy. Chaque personnage use de répétitions, reprend des phrases de l’un à l’autre sans finir le propos, sans répondre, sans savoir. Dès les premiers instants, la scénographie savante, épurée sur plusieurs étages du loft plutôt chic, la lumière blanche, le miroir où tous se mirent, l’ambiance doucereuse donnent une tonalité particulière à la mise en scène de Claude Mouriéras. Il présente les protagonistes, Meg la femme encore coquette, Peter l’homme un peu blasé et le jeune homme « vacant », Stanley. C’est qu’ils pourraient représenter tout le monde, n’importe qui, un matin, quelque part, au moment du petit déjeuner. Tandis que le jeune homme, Stanley, c’est le seul pensionnaire depuis un an dans cette maison d’hôte retirée, dort encore, Meg part le réveiller. Elle ne refuse pas au passage de se laisser ébouriffer par Stanley. Pourquoi est-il là depuis si longtemps ? Se cache-t-il ? Et de qui ? On ne sait pas grand chose sur lui, trentenaire, il a le rêve de faire une tournée artistique comme pianiste dans plusieurs villes européennes et il aime la petite Lulu. Puis deux visiteurs, au demeurant anodins, arrivent pour 2 ou 3 nuits, Nat Goldberg et MacCann. C’est à ce moment là que tout va basculer. Ces hommes comme sortis du monde de Beckett vont tout détruire sur leur passage au motif non avoué qu’ils ont des comptes à régler avec l’histoire. Dans ce contexte, l’anniversaire qui n’en est pas vraiment un, devient un prétexte à festoyer en entraînant tout le monde dans l’obscène, à exercer une domination, une mutilation par la violence physique et morale, anéantissant tout ce qui fait un être humain. Peter, le mari toujours en retrait, préfère sa partie de jeu avec ses amis. La scène du flot de questions posées à Stanley, sans attendre les réponses est représentative de la vision de Pinter : le totalitarisme passe aussi par le langage.
Qui ment ? Qui dit vrai ? Où vont-ils ?
« La vérité au théâtre est à jamais insaisissable. » H. Pinter.
Dans cet ennui colossal, chacun subit sa vie, seul ou accompagné. Tous les personnages sont bien campés, bien dirigés avec un attachement particulier pour Cécile Brune, méconnaissable dans le rôle de Meg qui termine la pièce avec cette réplique insensée à son mari, le matin qui suit la soirée de l’horreur : « c’était moi la reine du bal hier, je sais que c’était moi ». Présenté pour la première fois à la Comédie-Française, « Pinter, l’un des auteurs les plus importants du siècle » selon Jean-Pierre Miquel, entre au répertoire en 2000. (Florence Thomas, archiviste-documentaliste à la Comédie-Française)
C’est un événement en soi et on souhaite vivement que d’autres créations suivent.
L’anniversaire
d’Harold Pinter
Traduction Eric Kahane
Mise en scène Claude Mouriéras
Assistant mise en scène Renaud Durville
Avec Cécile Brune, Eric Génovèse, Nicolas Lormeau, Nâzim Boudjenah, Jérémy Lopez, Marion Malenfant
Scénographie et lumières Yves Bernard
Costumes Coralie Sanvoisin
Son Roman Dymny
Jusqu’ au 24 octobre 2013
Mardi à 19h – Du mercredi à samedi à 20h – Dimanche à 16h – Relâche lundiThéâtre du Vieux-Colombier
21 rue du Vieux-Colombier 75006 Paris
Métro : Saint-Sulpice
Réservations : 01 44 39 87 00
www.comedie-francaise.fr