Critiques // Critique • « La vie des termites » de Maurice Maeterlinck, mise en scène d’Eram Sobhani

Critique • « La vie des termites » de Maurice Maeterlinck, mise en scène d’Eram Sobhani

Juil 04, 2013 | Aucun commentaire sur Critique • « La vie des termites » de Maurice Maeterlinck, mise en scène d’Eram Sobhani

ƒƒ Critique Anna Grahm

la vie des termites

© DR

Mise à nu d’un univers mécanisé

Sur scène un carré blanc, autour duquel nous prenons place. Surgi de nulle part, un homme vient nous parler des aménagements et des couloirs d’aération d’une termitière. Toujours avec ce même ton très doux, presque confidentiel, l’homme nous explique que ces petites bêtes se nourrissent de cellulose qu’elles ne digèrent pas mais que leurs corps ont appris à accepter. Il nous parle de la volonté des termites et de la force des choses. Il nous détaille la hiérarchie sociale des travailleurs aveugles et asexués qui nourrissent la communauté, passe en revue les habitants qui la composent, les soldats et le roi qui vit écrasé sous l’abdomen énorme de sa reine.Bien étrange fonctionnement que ce ventre collectif d’une seule et même population toujours à l’œuvre, bien terrifiant ce ‘communisme de l’œsophage’ où rien ne se perd. Car dans ‘la sinistre et prospère république’, les cadavres sont consommés et les excréments recyclés indéfiniment. Ces petites bêtes-là ne sortent jamais de chez elles, construisent à l’intérieur, car à l’extérieur, sans yeux, elles se retrouvent sans défense, à la merci des fourmis, elles sont perdues. Avec leurs mandibules plus grosses que leurs corps elles dévorent tout, arbre, fer, font des ravages sans que personne ne les voit jamais. Mais qui règne ? Donne les ordres ? Trace les plans ? Les ouvriers ? Les guerriers ? Le couple royal ?

 

Eram Sobhani s’empare de ce texte aux allures de cours de science et nous attire dans une proximité telle que l’on a peu à peu le sentiment d’être de la termitière. Les précisions qu’il apporte, qu’il habite, qu’il dessine avec son grand corps fin, nous donne progressivement l’impression de partager l’intimité de cette inquiétante société. Le temps du récit, émaillé de musique sacrée, devient l’espace clos de la misère de ces insectes. Les observations de Maeterlinck se concentrent sur les capacités de résistance, la peine et l’écrasement de ses individus minuscules. Et lorsqu’au sol, sur la toile blanche tendue, sont projetées les images de ces animaux souterrains, lorsque l’acteur à portée de souffle se recueille devant ces êtres grouillants mystérieusement, il nous renvoie à nos propres aliénations. Et, se penchant sur ses peuples cachés, il nous tend le miroir de nos propres fourmillements, de nos sociétés tout aussi utopiques, tout aussi infernales.La termite gracieuse qui n’a que le choix du combat à mort, pour survivre dans les ténèbres depuis des millions d’années, devient progressivement le reflet de nos propres agitations.

C’est avec une incroyable économie de moyens qu’Eram Sobhani nous suggère la cruauté d’un monde sans lumière. Et s’il met sous la loupe les ravages dont sont capables les termites, s’il met aujourd’hui en scène la langue visionnaire de Maeterlinck, n’est-ce pas pour agrandir nos perceptions, n’est-ce pas pour nous amener à transposer nos aveuglements, qu’inconsciemment, qu’instinctivement, nous ne cessons de battre en brèche.


« La vie des termites » de Maurice Maeterlinck
Adaptation mise en scène et jeu d’Eram Sobhani
Festival on n’arrête pas le théâtre
Jusqu’au 6 juillet à 19H30
Théâtre de l’étoile du Nord
16 rue Georgette Agutte 75018 Paris
Métro : Guy Môquet – Porte de Saint-Ouen – Jules Joffrin
Réservation : 01 42 26 47 47
www.etoiledunord-theatre.com

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