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Critique • « La Veuve et le lettré », Théâtre Liyuan au théâtre MC93 à Bobigny

Juin 10, 2014 | Commentaires fermés sur Critique • « La Veuve et le lettré », Théâtre Liyuan au théâtre MC93 à Bobigny

ƒƒƒ critique Denis Sanglard

DSC_0791DSC_0791veuve© Yuan Wei et Hai Qing

Un vieux mari meurt laissant une jeune veuve condamnée à le rester ou à mourir en cas d’adultère. Le lettré Dong est chargé de surveiller la belle et de faire chaque mois son rapport sur la tombe du conseiller. Par excès de zèle, Le lettré Dong de moins en moins insensible aux charmes de celle qu’il espionne, un soir se décide à escalader les murs. On ne sait jamais si, chaste le jour, la nuit la dame ne se livrerait-elle pas à un amant…Mais celle-ci est seule et sans doute attendait-elle Dong pour se venger. Se venger ? Rien n’est moins sûr et dans l’aile du pavillon ouest un jeu de chat et de souris se conclue bien vite par la trêve des deux bientôt amants. Aux enfers le mari tonne et crie vengeance, à la mort de l’infidèle. Mais le lettré Dong usant de rhétorique renvoie l’impétrant bien vite dans le monde des fantômes. «  Ce qui vaut pour le vivant n’est pas valable pour les morts.»

C’est un conte, une fable. C’est d’une grâce infinie, c’est d’une beauté délicate, c’est leste, c’est drôle. Héritage d’une longue tradition par la forme codée, sa gestuelle précise, et moderne par son propos. Ce théâtre là à 800 ans ! Le théâtre Liyuan a bien failli disparaître lors de la révolution culturelle chinoise (1966/1976). Une poignée d’artistes s’est échinée à reconstituer ce théâtre populaire quasi millénaire. Un art raffiné que l’immense actrice Zeng Jinping, directrice de ce théâtre qui ne subsiste qu’à Quanzhou, porte au plus haut. Une tradition qu’elle a fait évoluer, dans le respect de sa forme, par un répertoire nouveau et plus moderne dans son propos. Le dramaturge Wang Renjie a ainsi dépoussiéré quelque peu les livrets traditionnels, apportant une touche moins morale et un peu plus « politique ». La Veuve et le lettré est certes un joli marivaudage entre vivants et morts mais néanmoins porte un regard sur la condition féminine peu amène. Cette pièce malicieuse est féministe sous ces atours soyeux.

Ce qui est fascinant c’est de voir les corps de ces acteurs uniques, décliner d’infinies nuances sur la carte du tendre. Ces corps dansants sont des roseaux qui délicatement se plient sous le joug des émotions multiples qui saisissent les personnages. La moindre inflexion de la main, le frémissement léger d’un dos accompagné du froissement de la soie, l‘inclinaison d‘une tête… Nous ne possédons certes pas les codes pour sans doute mieux nous éclairer mais ce vocabulaire décliné si délicatement atteint une portée universelle. De même ils dessinent l’espace qu’ils traversent. Le plateau est vide et pourtant nous voyons le mur du jardin à franchir. Quand les deux futurs amants se cherchent et se fuient tout à la fois dans le noir et dans le dédale des couloirs d’un pavillon, il est proprement incroyable de voir réellement se dresser devant nous les corridors. Magie d’un art où le chant également module les états d’âmes de variations infimes. Et la musique ici – le Nanyin, musique du sud de la chine – est tout aussi raffinée, loin des clichés que nous pourrions avoir de la musique chinoise. Elle enveloppe cette création d’une atmosphère sensible et sensuelle. Tout concoure à l’expression des sens et ce qui semble compter n’est pas tant l’intrigue que les possibilités qu’elle offre dans le registre émotionnel. La Veuve et le lettré permet justement ça, cette palette de sentiments, d’émotions contrastées, de variations… On s’émeut, on rit. Et s’il fallait retenir une seule image, sans doute les chaussons de soie rouge qui joyeusement, innocemment, parcouraient le plateau, volaient littéralement, avant de devenir cet objet érotique posé au centre de la scène nue. C’est toute la magnifique ambiguïté de ce théâtre, un théâtre de la suggestion qui manipule les contrastes les plus extrêmes avec une élégance folle.

La Veuve et le lettré
Théâtre Liyuan / Chine
Direction artistique : Zeng Jingping
Livret de Wang Renjie
d’après You Fengwei
avec Lin Fufu, Zeng Jingping, Liao Shuyun, Gong Wanti, Lin Xiaowei, Zheng Yasi, Wu Youqing, Guo Zhifeng
Remerciements à Georges Lavaudant pour les lumières
Eclairagiste: Su Zhiqiang
Régie Plateau: Lin Zhibin
Régie Lumières: Ke Yuehai
Régie Son: Huang Qiming
Accessoiriste: Chen Huanghuang
Maquilleuse: Dong Hui
Coiffeuse: Chen Dehua
Habilleuse: Wu Meizhu
Assistante: Zhuang Jingru
Interprète de la troupe: Joshua Stenberg

MC93
Bobigny
9 boulevard lénine
93000 Bobigny

Salle Oleg Efremov
du 6 au 15 juin 2014 à 20h30. A 19h30 le mardi. A 15h30 le dimanche. A 14h le vendredi 13 juin.
Relâche lundi et jeudi.
Du 17 au 18 juin Les nuits de Fourvière/ Lyon

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