ƒƒ critique Camille Hazard
© Agathe Poupeney
Deux pièces d’Odön Von Horváth montées par André Engel, comme un cycle perpétuel de l’Histoire.
Les deux textes d’Odön von Horváth « Meurtres dans la rue des Maures » et « L’inconnue de la Seine » reflètent toutes deux l’atmosphère nauséabonde de l’Allemagne de 1923 à 1933. Sous les traits de faits-divers criminels, il peint en visionnaire, la crise économique allemande, la montée du nazisme et la mentalité individualiste, méfiante, délirante qui s’installera au cœur des villes, des quartiers et des familles.
En confrontant ces deux pièces, A. Engel sème le trouble dans l’esprit des spectateurs. Le crime de l’horloger est le lien qui unit ces œuvres. Mais entre 1923 et 1933, O. Von Horváth aiguise son regard ; celui-ci devient plus clinique, plus froid et tristement pessimiste. Les acteurs rejouent leur rôle ; on se dit qu’ils ne revivront pas la même chose l’ayant déjà connue, on se dit qu’ils ne se feront pas avoir deux fois ! Mais aucune situation n’est jamais tout à fait identique et les variations de contextes piègent ce qui en sont les victimes…
Les décors de quartiers, en arrondi, très proprets, les costumes couleurs pastel, la mobilité saccadée de certains personnages, donnent l’impression d’un jeu de construction,offrant la possibilité à l’architecte en herbe de retourner la ville dans tous les sens tout en riant de ses habitants. Les changements de décors (qui mobilisent la moitié de l’équipe), laissent apparaître des Lego géants s’imbriquant les uns les autres et sur lesquels sont projetés des images de mécanismes d’horlogerie, rendant ainsi la ville encore plus petite et repliée sur elle-même. Ces images expressionnistes martèlent l’idée du temps inexorable qui approche, les bruits obsessionnels de mécanisme résonnent comme une menace ; ils laissent entrevoir le désarroi et la folie qui s’étendront dans chaque veine de rue.
Si la première pièce plus succincte, place l’action et l’enquête au cœur d’une famille, la deuxième les déploie au cœur d’un quartier entier. Le texte « L’inconnue de la Seine » se libère des entraves de la narration laissant le spectateur libre de voguer entre symbolisme et sous-texte. Chaque personnalité est ici représentée sans jamais tomber dans la caricature. On croise dans les rues, une amoureuse, un cynique, un grand crédule, une femme à poigne, un homme obéissant, un macho, un idéaliste… Tous différents, mais tous se rencontreront au carrefour de l’indifférence, de la peur, de l’égoïsme : maux nés de la crise et terreau fertile pour y planter la haine.
Le jeu des acteurs est pour beaucoup dans la qualité de ce spectacle. Un fort engagement transpire de leurs mouvements et de leurs adresses. Ils sont pleins du texte d’O. Von Horváth.
Malheureusement assises au dernier rang, bien des expressions, des dialogues, des apartés ne nous sont pas parvenus. Quel dommage…
La double mort de l’horloger
D’après deux pièces d’Odön Von Horváth
« Meurtres dans la rue des Maures » (1923) et « l’inconnue de la Seine » (1933)
Mise en scène André Engel
Texte français Henri Christophe
Adaptation André Engel et Dominique Muller
Scénographie Nicky Rieti
Lumières André Diot
Costumes Chantal De La Coste
Son Pipo Gomez
Assistant à la mise en scène Ruth Orthmann
Avec Caroline Brunner, Yann Collette, François Delaive, Evelyne Didi, Yordan Goldwaser, Jérôme Kircher, Gilles Kneusé, Manon Kneusé, Arnaud Lechien, Antoine Mathieu, Tom Novembre, Ruth Orthmann, Julie-Marie Parmentier, Natacha Régnier et Marie Vialle
Jusqu’ au 9 novembre 2013
À 20h30 – Dimanche à 15h30
Théâtre National de Chaillot
1, Place du Trocadéro – 75116 Paris
Métro : Trocadéro
Réservation : 01 53 65 30 00