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Critique • « J’ai de la chance » de Laurence Masliah, mise en scène Patrick Haggiag au Lucernaire

Nov 02, 2013 | Aucun commentaire sur Critique • « J’ai de la chance » de Laurence Masliah, mise en scène Patrick Haggiag au Lucernaire

ƒ critique Anna Grahm

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« J’ai toujours su sans savoir » Laurence Masliah

Natasha parle de Germaine qui lui parle de Shatta. Germaine c’est mamie Coud parce qu’elle adore coudre, il arrive à Germaine d’avoir des trous, de perdre le fil, de confondre Natasha et Shatta. Germaine chantonne, passe du coq à l’âne, digresse, s’absente. L’histoire que Natasha tente de restituer est comme les poupées russes, les petites dans la grande.

Sur la grande table de couture, elle trie, range, dérange, offre de recoudre un bouton au pardessus d’un spectateur, avec qui elle installe une proximité presqu’intime.

Des fibres de sa petite fille, la grand-mère émerge, émeut, enrage. C’est une personnalité exigeante Germaine. Elle ne supporte pas qu’on écorche les mots, corrige les gens s’il le faut, rejette toute idée d’enfermement, refuse la maison de retraite. À 89 printemps, Germaine ne fait pas son âge, se pomponne, va au théâtre, s’initie à internet. C’est une femme libre qui a soif de savoir et qui se réserve « une petite joie chaque jour ». Comme dans son enfance, du temps de Shatta, lorsqu’elle « jouait, étudiait comme si tout était normal ». Peu à peu l’enquête de Natasha prend corps, se dégage alors des boites, une mamie et ses cahiers, et son amour des listes reconstruit ce qu’elle oublie.

La maison de Moissac

Visuel 2 © Nathaniel Baruch

© Nathaniel Baruch

La figure de Shatta, son courage, sa force de caractère affleure. Shatta Simon et son mari Édouard dit Bouli conscients de la montée de l’antisémitisme, ouvrent en décembre 1939 une maison à Moissac pour protéger les enfants juifs de la guerre.De l’organisation minutieuse des éclaireurs Israélites de France pour assurer l’accueil de ces 500 enfants on ne saura pas grand chose mais on apprendra que cette « colonie » a su conjuguer et l’enseignement religieux et la scolarité laïque dispensée à l’école du village.Une façon aussi de rendre hommage aux habitants d’alors qui ont su par leur silence complice les sauver de la fureur, de la haine et d’une mort certaine.

Une pièce subtile sur la mémoire, qui par bribes nous rappelle –s’il le fallait– d’entretenir notre liberté de conscience, notre responsabilité individuelle et notre vigilance. Car cette « chance » que décline avec beaucoup de pudeur et de tact Laurence Masliah s’appuie sur la lucidité, l’audace d’hommes et de femmes qui ont gardé leur esprit en éveil, qui ont cherché à préserver ce que les nazis mettaient tant de zèle à éradiquer.

Tout commence décousu. Fragmenté. Sur un souffle. Tout le travail du metteur en scène Patrick Haggiag se concentre sur la transmission, les différentes voix cheminent, slaloment d’une identité à l’autre avec grâce. Sur le plateau presque nu, les époques apparaissent et disparaissent et cette miraculée du passé nous renvoie à notre façon d’habiter le présent.

 

J’ai de la chance
De et avec Laurence Masliah
Mise en scène Patrick Haggiag
Collaboration Marina Tomé
 
Jusqu’ au 4 janvier 2014
Du mardi au samedi à 19 h
 
Théâtre du lucernaire
53 rue notre dame des champs paris 5
Métro : Notre dame des champs
Réservation : 01 45 44 57 34

 

www.lucernaire.fr

 

 

 

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