ƒƒƒ critique Dashiell Donello
© Pascal Victor
Elle : « J’ai tant de choses. J’ai mes objets, les meubles, les tableaux. Je suis présente dans quelque chose qui existe »
D’abord c’est la nuit qui semble rire. Un rire ? Pas vraiment. Plutôt des larmes mêlées dans l’amer du rire. Une femme seule sur son canapé, attend son ami. Elle a préparé le repas et aéré le vin qu’il aime. La table est dressée de faïence et d’amour. Il y a les beaux verres qu’elle sort rarement. Elle est « Grande, et forte, et superbe». L’amant ne rentre pas. Pourtant elle lui parle ; comme s’il était devant elle. Elle s’approche de lui. L’entoure de ses bras. Puis s’impatiente :
– Il faut qu’il vienne maintenant ! Il faut qu’il vienne !
La vie n’est-elle pas qu’attente ? Cette absolue nécessité de la venue de l’être aimé, serait-elle un leitmotiv qui conjurerait un silence trop pesant ? Une attente insupportable ? Son ami ne viendra pas. Elle le sait. Elle est intelligente et brillante. Il a disparu comme dans la mort ; mais elle, est présente dans quelque chose qui existe. Quelque chose qu’elle crée. Elle existe comme dans la vie. Une vie ordinaire qui espère combler le manque dans l’hallucination de l’ami disparu. Elle ne peut pas vivre et ne peut pas mourir. Est-elle délaissée, veuve ? Avec qui parle son amant dans l’entrée ? Est-ce avec une autre amante ? Est-ce avec la mort ?
Le texte de Jon Fosse a un je ne sais quoi d’une philosophie animiste, où la vie serait comme un nénufar qui éclot dans un fjord de la mort. L’expression, « Comme dans la mort », de ce point de vue, renfermerait alors une autre résonance qu’on aurait tort de prendre au pied de la lettre. Car il n’est en rien certain que « lui » soit absolument mort. Il semble disparu, ou peut-être ailleurs tout simplement. Jon Fosse parait nous dire : cette disparition est mortelle pour « elle ». Car elle est dans l’impossibilité d’être seule. Il ne lui reste plus alors qu’à vivre avec « lui » en l’imaginant toujours présent. Par ce déni de disparition, elle se construit une preuve allégorique de l’existence de son ami. Elle peut in fine le tuer à jamais dans l’attente et la solitude.
« Ce sont les acteurs qui créent les personnages » Jon Fosse
Marc Paquien a su « disparaître » pour mieux nous montrer les parties latentes de cette pièce énigmatique. Sa mise en scène est réglée comme un long chant, où les couplets racontent le vide de la solitude, tandis que le refrain répète à l’envi le besoin de l’être absent. C’est magnifiquement orchestré. Les rythmes alternent avec les silences et les corps répètent le vu et le non-vu. L’épiphanie du personnage, par le jeu magistral de la fascinante Ludmila Mikaël, nous montre alors le dédoublement parallèle que crée le jeu d’acteur par l’action et la suggestion. Pour Jon Fosse les mots ne sont pas ce qu’il y a de plus important ; son théâtre fait lien avec l’acteur créateur de son écrit.On dit souvent que le grand théâtre nous rend différent de ce que l’on était en entrant. C’est ce que vous éprouverez dans « Et jamais nous ne serons séparés ».
L’auteur
Né en 1959 à Haugesund, dans le sud-ouest de la Norvège, Jon Fosse grandit dans le village de Strandebarm, au bord du fjord de Hardanger. Pendant son adolescence, il joue de la guitare dans un groupe de rock. Il fait des études de lettres, de philosophie et de sociologie à l’Université de Bergen et publie son premier livre en 1983. Depuis cette date, il se consacre exclusivement à l’écriture. Son œuvre est traduite dans une trentaine de langues. En France, ses romans sont publiés aux éditions POL et aux éditions Circé, et son théâtre chez l’Arche éditeur. Ses pièces ont été montées par des metteurs en scène tels que Claude Régy, Jacques Lassalle, Thomas Ostermeier, Falk Richter et Luk Perceval.
Jon Fosse a reçu de nombreux prix littéraires, dont le prix Ibsen (1996), le prix Nestroy, décerné à Vienne (2000) et le prix du théâtre du Conseil nordique (2000).
Il est chevalier de l’ordre du Mérite français et commandeur de l’ordre de Saint-Olav.
Et jamais nous ne serons séparé
Pièce de Jon Fosse
Mise en scène Marc Paquien
Assistante à la mise en scène Pénélope Biessy
Avec Ludmila Mikaël, Patrick Catalifo, Agathe Dronne
Texte français de Camilla Bouchet et Marc Paquien
Décors Gérard Didier
Costumes Claire Risterucci
Lumières Roberto Venturi
Son Xavier Jacquot
Maquillage Nathy PolakThéâtre de l’Œuvre
55 rue de Clichy
75009 Paris
M° Place Clichy
À partir du 10 Septembre 2013
Du mardi au samedi à 20h30
Le dimanche à 15h