ƒƒ Critique Camille Hazard
© DR
« Je ne suis pas là pour donner du plaisir mais pour combler l’abîme du désir… » Dealer
Une musique inquiétante parvient de la scène ; musique progressive, accompagnée de bruits étranges, comme l’apparition d’un présage funeste. Puis la rencontre des deux hommes, le dealer et le client ou le vendeur et l’acheteur, l’offre et la demande. Mais qu’ont-ils à proposer ou à désirer ? Rien. Les deux personnages de Koltès, métaphore du capitalisme, se rencontrent à une heure de la nuit indéterminée dans un lieu inconnu. Seuls éléments certains, la sauvagerie et la dangerosité latentes entre ces deux hommes…
La mise en scène de Jean-Pierre Brière est claire. Ce dernier étoffe le texte tout en respectant l’auteur. Il donne l’illusion d’un combat de boxe intense avec des rounds, des appâts, un axe d’affrontement, des esquives, des contre-attaques et contre-offensives, des cadrages afin de confiner le client pour qu’il ne s’échappe … Le chemin est précis, les personnages se figent dans une immobilité d’écoute, toujours prêts à bondir ou se meuvent dans des déplacements incertains et irréels. Tout cela crée une ambiance fantomatique où les personnages paraissent encore plus troubles, plus effacés, plus cauchemardesques, plus insaisissables que le temps ni le lieu qui n’existent pas ! A la fin du spectacle on se demande même si l’on ne l’a pas rêvé !
Visuel cinématographique, profondeur mythologique.
Restent les propositions du metteur en scène, elles, bien réelles !
Le spectacle avec son décor de lieu de perdition, d’endroit à la dérive avec des blocs de béton renversés, des plaques métalliques, a une esthétique très cinématographique. Deux rangées de néons clignotent perpétuellement. Ces points lumineux éclairent l’un ou l’autre des personnages, parfois les deux, parfois aucun, à la manière du point du vue au cinéma ; notre œil pénètre la scène comme guidé par l’objectif d’une caméra. Cela facilite notre compréhension du texte assez dense de Koltès ! Jean-Pierre Brière ajoute à cet échange, à cet espace de délabrement, l’idée du Passage. Il justifie ses personnages-entités comme deux individus au bord d’un passage qu’ils ont à franchir. Deux chiens apparaissent parfois sur scène renforçant le côté menaçant et funeste. Gardiens de l’entrée des Enfers dans la mythologie, ceux sont eux qui guident les âmes des morts…Un troisième personnage erre parmi les décombres. Souvent posé dans un coin lugubre ou déambulant entre les ramassis et les colonnes délabrées, il assiste à cet affrontement dévastateur. Afin de renforcer la puissance métaphorique de Koltès, vers la fin de la pièce le client ne dialogue plus qu’avec le dealer, il s’adresse également à ce témoin et au chien ; l’offre et la demande peuvent prendre plusieurs visages.
Un manque d’urgence par moment, entache cette mise en scène solide ; un côté didactique alourdit les phrases déjà longues du texte.Le comédien Bruno Debrandt (le client) montre, une très grande capacité à faire entendre le texte et un corps tant robuste que fuyant. Jean-Pierre Brière (le dealer) impose une dangereuse et énigmatique présence; seules des variations de volume de sa voix amènent une compréhension laborieuse du texte, on perd souvent des apartés ou des fins de phrases.
Cette interprétation solide du texte et une mise en scène lisible visuellement, nous amènent dans les profondeurs de l’irréel, dans ce passage où il devient difficile de nous distinguer nous-même, les autres et les choses que nous croyons connaître.
Dans la solitude des champs de coton
De Bernard-Marie Koltès
Mise en scène Jean-Pierre Brière
Avec Jean-Pierre Brière, Bruno Debrandt et Jean-François Michel
Maître-chien Jean Gallego et les chiens Ulster et Félicie
Assistante mise en jeu Marie Crouail
Espace Scénique Pascale Mandonnet et Jean-Pierre Brière
Constructeurs Hélène Messent, Hervé Sonnet
Espace et conduite son Didier Préaudat
Espace et conduite lumière Eric Guilbaud
Costumes Pascale BarréJusqu’au 2 mars 2013
Mardi, mercredi et vendredi à 20h30, jeudi à 19h30, samedi 17h00 et 20h30
Durée du spectacle 1h30L’Etoile du Nord Théâtre
16, rue Georgette Agutte – 75018 Paris
M° Jules Joffrin (12) ou Guy Môquet (13)
Réservation au 01 42 26 47 47
www.etoiledunord-theatre.com