Critiques // Critique • « ASOBI » (jeux d’adulte), Les ballets C de la B / Kaori Ito, Chorégraphie de Kaori Ito

Critique • « ASOBI » (jeux d’adulte), Les ballets C de la B / Kaori Ito, Chorégraphie de Kaori Ito

Mai 27, 2014 | Commentaires fermés sur Critique • « ASOBI » (jeux d’adulte), Les ballets C de la B / Kaori Ito, Chorégraphie de Kaori Ito

ƒƒƒ critique de Denis Sanglard

kaoriito1 © Toni Ferre

Lâcher prise

Asobi en japonais c’est le lâcher-prise, la fuite. Mais aussi le combat, les jeux de hasard. Aujourd’hui il porte également une connotation érotique liée au fétichisme, la mise en scène du corps. Ce que porte la chorégraphie de Kaori Ito c’est tout cela à la fois. Ce que Foucault définit comme « un corps utopique ». C’est-à-dire celui que l’on donne à voir, que l’on présente comme étant celui que l’on perçoit ou souhaite qu‘il soit perçu… Un jeu de regard et de dupes consentis, où l’identité de l’individu existe et se révèle dans le regard de l’autre, sur les corps exposés, prenant la pose, dans un jeu séduction, entre dérobade et ruade, soumission et domination, douceur et violence. Une règle du jeu tacite et fragile où les rôles et les genres peuvent s’inverser.

8f1dfc52933f7b13364833c435b9e4e3On le sait, le sexe est un sport de combat sans vainqueur et sans vaincu. Mais ce jeu, ici, est mis sur le même plan que la danse, en est la métaphore. La danse comme jeu de séduction entre exhibition et voyeurisme. Entre maîtrise et abandon. Un narcissisme exacerbé dont se joue Kaori Ito avec beaucoup d’humour : on se regarde beaucoup dans le miroir qui occupe l’espace du plateau. Mais ce qui est fascinant c’est de voir combien les corps tenus à un rôle de séduction, à ses codes, ses postures – une identité culturelle en somme – , peu à peu se lâchent, se détachent pour atteindre une vérité enfouie, intime. Qu’il faille aller jusqu’au bout de la pression imposée pour s’en libérer. Où la danse n’est plus dans le carcan du mouvement imposé, mais dans la source même de ce mouvement. Ce n’est plus la danse et ses postures académiques qui induisent l’émotion mais l’émotion qui génère le mouvement et devient danse. Le mouvement n’est plus extérieur mais surgit de l’intérieur, pulsion inconsciente. On passe ainsi du collectif et de la norme à l’individu. La chorégraphie de Kaori Ito, inversant donc le processus classique, est ainsi faite que progressivement les danseurs se réapproprient leur corps, leurs vérités intrinsèques, passant d’un corps marqué d’affects de par leur culture et leur fonction – danseurs – à quelque chose de bien plus intime et vrai sinon juste, un corps à nu, a-culturé, retrouvant la puissance et la sauvagerie de son animalité. Un corps débridé. Un relâchement complet dans une débauche d’énergie puissante et paraissant incontrôlable, jusqu’à l’épuisement, jusqu’au cri quand les corps éreintés s‘effondrent. Comme si ayant creusé et évidé progressivement l’éventail de toutes les possibilités de séduction, et de la danse, ils arrivaient dépouillés d’affects à une vérité bien plus troublante et violente, tout aussi fragile, que les jeux de rôles auxquels ils s’adonnaient jusqu’alors.

La chorégraphie de Kaori Ito interroge la vérité paradoxale de l’individu. Que cache-t-on finalement derrière ce que l’on montre? Et que voit-on réellement de ce qui est montré? Un jeu de miroir, une mise en abyme où le spectateur devient voyeur. Parce que la question posée par Kaori Ito est également celle de la relation complexe entre le performer et son public. Un cinquième élément à ajouter à ce quatuor, pris en considération comme un partenaire de jeu, voyeur à qui l‘on s‘offre en toute conscience. Ce quatuor, dont Kaori Ito elle-même, qui sur le plateau est un formidable concentré d’énergie pure. Il est fascinant de voir combien leur énergie commune s’interpénètre pour donner quelque chose de bouillonnant, de fulgurant, dans une tension continue et capable soudain d’un relâchement total, d’un abandon d’une grande sensualité… Une oscillation qui va crescendo où bientôt les corps après s’être approchés, frôlés, combattus, s’affolent, s’accouplent avant de tomber, écorchés et foudroyés. Foudroyés, nous le sommes tout autant devant tant d’incandescence et de vérité nue où le trouble le dispute à l’émerveillement.

 
ASOBI (jeux d’adulte)
Les ballets C de la B / Kaori Ito
Chorégraphie de Kaori Ito
Chorégraphie et mise en scène Kaori Ito
Créé par Csaba Varga, Jann Gallois, Kaori Ito, Laura Neyskens, Peter Juhasz
Dansé par Csaba Varga, Jann Gallois, Kaori Ito, Peter Juhasz
Musique : Guillaume Perret, Marybel Dessagnes
Musique interprétée par Spectra (Jan Vercruysses, Kris Deprey, Pieter Jansen, Bram Bossier, Francis Mourey, Luc van Loo et Franck Van Eycken )
Assistant à la chorégraphie : Gabriel Wong
Travail d’acteur : Renae Shadler
Création éclairage : Carlo Bourguignon
Création son : Bartold Uyttersprot
Création décors : Régisseur Plateau Wim van de Capelle
Création Costumes : Mina Ly
Assistante costumes : Lieve Meeussen
Régisseur éclairage : Bennert Vancottem
Régisseur son : Gert Van Hyfte

Théâtre national de Chaillot
-Grand foyer-
1 place du Trocadéro
75116 Paris

Du 21 au 23 mai 2014 19h

www.theatre-chaillot.fr / 01 53 65 31 00

13-15 septembre 2014 Tokyo, Spirall Hall
19-21 novembre 2014 Bruxelles, Hallen van Schaarbeeck
10-11 décembre 2014 Luxembourg
16-17 décembre Saint-Quentin

Be Sociable, Share!

comment closed