Critique de Djalila Dechache
Dans le cadre du Festival Impatience, le théâtre National de l’Odéon pour la 4 ème année consécutive invite des compagnies théâtrales qui incarnent « les talents de demain ».
C’est le cas de celle-ci qui n’en est pourtant pas à sa première production.
Son auteur, Tom Lanoye, flamand d’expression néerlandaise, connu en Allemagne, arrive en France avec cette pièce. Christophe Sermet, comédien, graphiste et metteur en scène est lauréat du prix du Théâtre National de Belgique, Jacques Huisman (1910-2001).Ce prix est destiné à parfaire la formation de jeunes acteurs et de jeunes metteurs en scène exerçant en Communauté française et ayant déjà une expérience significative de se confronter aux pratiques de maîtres étrangers.
Il y a des choses à dire, sur le texte, le jeu, la scénographie et le reste.
Le texte en français, traduit par Alain van Crugten est édité chez Actes-Sud Papiers en 2011. On y trouve de nombreuses correspondances avec des auteurs tels que les italiens Spiro Scimone et Fausto Paravidino.
L’Europe serait-elle en train de s’écrire, de se penser par les textes d’auteurs ?
De même que la création dramatique infuse déjà ses nouveaux codes à l’aune de notre société décomposée et explosée sur tous les plans. Où chercher et trouver le beau, le vrai, le juste dans ces conditions ?
Ici, Tom Lanoye part du mythe de Médée et Christophe Sermet l’inclut dans un cadre de cinéma à la Ken Loach.
La direction d’acteurs est agressive, très sonore, et en corps à corps, limite graveleux par des comédiens au physique éloigné des codes esthétiques offrant des jeunes gens beaux et désabusés.
La scène est divisée virtuellement en deux, d’un côté une famille attablée, modeste, une mère, débordée d’hystérie et dévorante avec ses fils, le père, le roi Aeétès, un tyran, sanguin, rougeaud vociférant « Mesure-toi à moi, le plus fort aura la toison » dira t-il au Jeune Jason, et d’autres éléments silencieux pour l’instant.
De l’autre, les Argonautes, Jason en tête, trois jeunes gens en costume clair, sont venus chercher la Toison d’Or gardée par « des serpents aux mille yeux ». Leur Q.G est matérialisé par une cabane en tulle blanc, réussie, qui fait penser à un abat-jour à taille d’homme transformé en papillon venu s’enivrer de lumière. C’est là, à la lueur d’une faible lumière cependant, débordante d’ombres, que se prendront les décisions que l’on sait pour la suite de l’histoire.
La scénographie n’est ni plus ni moins que ce qui se fait déjà ici en France ou en Allemagne, à Paris ou à Berlin, comme a pu la réussir le collectif de Quark par exemple (Fête et Bar) ou encore le travail que nous offre depuis plus longtemps, Bruno Meyssat.
Le reste? Où donc faut-il chercher pour trouver un véritable intérêt dans ce travail ?
Médée forever, Médée la passionaria
Le rôle principal est tenu par une jeune femme étonnante. Médée ressemble à une écolière avec ses socquettes et sa queue de cheval, la comparaison s’arrête là, elle s’avère être une sacrée meneuse en évitant toute mièvrerie. Elle est juste dans tout ce qu’elle fait ou ce qu’elle dit. Elle est bondissante comme la passion, comme la jeunesse.
Construit comme une histoire policière avec épreuve, des méchants et un beau garçon, il faut faire vite pour contrecarrer les plans du père, un père bien antipathique qui ne fait pas dans la dentelle, comme il se doit quand il s’agit de piétiner son territoire ou de le déposséder.
L’amour viendra donner son mot et changer les plans. L’amour et les mystères de son art d’utiliser les plantes magiques pour tromper ce qui est devenu dans son propre camp, l’ennemi à abattre.
En effet une femme amoureuse peut créer des séismes par des mots tels que: » Acceptez-moi, je suis rien sans vous, comme vous êtes tout pour moi, vous êtes toute ma vie et toute ma mort, soyez mon protecteur, mon abri, mon mari… » et Jason de répondre : » je ne suis pas impétueux dans l’extériorisation de mes sentiments » « je me mordrais jusqu’à l’éternité » dit Médée.
Il y a aussi cette tirade très belle entre les deux sœurs, qui dit et qui brouille en même temps :
« Ma sœur mon sang
Ma fille ma vie » dit l’une
Quand l’autre répond
« Ma sœur mon sang »
Ma mère ma vie«
Notons les apports musicaux du joueur de guitare acoustique et ses ballades tantôt folk, « I hurt myself to day » tantôt blues, à s’y méprendre on se serait cru lors d’un festival de musique underground.
C’est une pièce turbulente dans le sens où tout va vite, le débit de paroles, chargé, les mouvements, les scènes, les tensions, les ficelles que chacun tire consciemment ou pas.
Les mythes nous collent à la peau et plus encore.
Et c’est bien ce qui fait de nous, une histoire sans cesse recommencée.
Dans le même temps, le théâtre de l’Odéon a mis en place un cycle de créations de trois ans sur l’adolescence comprenant du théâtre d’intervention, des restitutions d’ateliers et de jeu programmés en juin.
Mamma Medea
De Tom Lanoye
Avec Anne-Claire, Claire Bodson, Romain David, Adrien Drumel, Pierre Haezaert, Francesco Italiano, Philippe Jeusette, Mathilde Rault, Yannick Renier, Fabrice Rodriguez et les enfants Jules Brunet et Balthazar MonfèFestival Impatience du 9 au 14 mai 2012
Théâtre National de l’Odéon
Place de l’Odéon 75006 Paris
Métro : Odéon
www.theatre-odeon.frRéservation : 01 44 85 40 40