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Critique • « le Fils » de Jon Fosse mis en scène par Jacques Lassalle au Théâtre de la Madeleine

Avr 27, 2012 | Un commentaire sur Critique • « le Fils » de Jon Fosse mis en scène par Jacques Lassalle au Théâtre de la Madeleine

Critique de Camille Hazard

 

Notes suspendues pour l’attente

La Mère : « C’est sombre et noir en ce moment. »

Le Père : « Oui très sombre,

 Il ne fait presque plus jour du tout,

 Un peu de demi-jour à midi sinon c’est sombre. »

 

 

Pour sa troisième rencontre avec l’écrivain norvégien Jon Fosse, (Un Jour en été – Lausanne 2011, Le Jeu de l’amour et du hasard, traduction de Fosse, Oslo 2010), Jacques Lassalle a choisi Le Fils, pièce appartenant à la première période d’écriture de l’auteur (1997).

Perdue au milieu des Fjords, une maison.

Dans cette maison, un couple attend le retour du fils parti depuis des mois sans donner de nouvelles.

Un jour, il réapparait ; d’où vient-il ? qu’a-t-il fait ?

Sort-il vraiment de prison comme le prétend le voisin ?

Tout ce qui est dit  est tu.

Un mot, parfois deux … tout au plus, un sujet-verbe-complément.

L’auteur distille la vie de ses personnages entre leurs mots.  La Mère et Le Père sont trop pleins d’émotions refoulées, de ressentis contenus.  Chaque mot prononcé est un  risque de débordement intérieur,  de noyade en dedans d’eux-mêmes.

Fosse met en scène des situations romanesques, des personnages complexes, il interroge notre société dans les silences et les respirations. La solitude, l’ennui, l’attente, l’espoir, la culpabilité, la colère, le désabusement, le chômage, l’alcool, la drogue, la vie passée qui fuit et surtout l’absence de futur ; voilà ce qui est tu dans cette pièce, voilà ce qui s’échappe de ce texte –partition, dans lequel, chaque mot est une note, chaque phrase récurrente, un leitmotiv macabre. Au metteur en scène de déterminer s’il orchestre un requiem, une marche funèbre ou un oratorio.

©Dunnara Meas

 

Purgatoire

Jacques Lassalle prend des risques dans sa mise en scène, des risques qui s’avèrent payants.

Une toile peinte illustrant un paysage rocailleux norvégien, d’une ringardise intolérable, sert de fond de scène.  De couleurs vertes et grises, cette peinture rappelle les reproductions de paysages d’un goût douteux, qui jonchent les vides-greniers.  Dans l’obscurité noire de terre de la Norvège, seuls une lampe jaunâtre et des phares de bus, viennent créer un clair-obscur d’espoir bien vite anéanti.   A l’avant-scène, un canapé en velours marron semble déjà accabler le couple vieillissant. Quelques meubles reproduisent l’idée d’un salon ordonné, dans lequel chaque chose a sa place. Une place inébranlable qui maintient leur équilibre fragile. Mais qui n’a jamais connu ce genre de meubles chez une grande tente en province ou dans le grenier de ses grands-parents ? Qui peut dire qu’il n’est pas touché par ces objets confortables, sans recherche ni goût, ces meubles sévères, sans fioritures qui nous ont accueilli enfant ? Ce qui nous agressait l’œil tout à l’heure, capte maintenant toute notre  attention et notre bienveillance, créant un lien entre leur vie et la nôtre.

Catherine Hiegel et Michel Aumont, poignants, attendent ensemble dans un purgatoire sans fin. Leur vie s’étire jusqu’au rien.

Le parti pris de J.Lassalle les emmène sur un chemin ambigu. Dans leur corps, ils ne forment pas un couple fini, prostré, au bord de la mort. Le Père garde une certaine énergie, la Mère conserve des réactions face au fils. Mais ils demeurent dans un apaisement morbide, dans une fausse acceptation de leur vie ; ils sont comme modelés par les angles de leur maison, et ne peuvent en sortir. Ils sont la maison comme le canapé en velours et les meubles. Cette acceptation de la mort impassible qui s’avance vers eux, est encore plus cruelle. Plus de soubresauts, plus de souffrance, tout est calme.

Lorsque le fils rentre, que le voisin alcoolique intervient, la vie de reprend pas pour autant le dessus.

Le couple est pris en étau entre cet adolescent qui ne pense qu’à une chose : fuir la campagne déserte pour vivre et le vieil homme qui noie sa vie passée et sa culpabilité dans le whisky. Jean-Marc Stehlé extraordinaire dans le rôle de la vieille branche alcoolique titubante (Le voisin, personnage sorti tout droit du film Les chiens de paille de Sam Peckinpah). Il se compose avec la fragilité de la vieillesse mêlé à un aspect brutal des gens reclus.

Difficile de s’imposer face à ces trois monuments d’acteurs ; Stanislas Roquette (Le Fils), jeune comédien et metteur en scène, impose un jeu fragile et obsessionnel. Si parfois son texte quitte le tempo de la scène pour revenir à un jeu plus quotidien, ses silences chargés suffisent à la carrure du personnage.

 

Jusqu’à la fin, on attend, on réclame qu’une émotion les éclabousse avant qu’ils ne se quittent, qu’ils ne meurent. Mais rien. Le temps les fige à jamais entres ces quatre murs mortuaires.

 

Le Fils

De Jon Josse

Mise en scène Jacques Lassalle

Avec Michel Aumont, Catherine Hiegel, Stanislas Roquette et  Jean-Marc Stehlé

Décors Jean-Marc  Stehlé et Catherine Rankl

Costumes Arielle Chanty

Lumières Franck Thévenon

Son Julien Dauplais

Traduction Terje Sinding

A partir du 17 avril 2012

Du mardi au samedi à 21h00, dimanche à 16h00, relâche le lundi

Théâtre de la Madeleine

19, rue de Surène – Paris 8ème

Métro Madeleine

Réservations au 01 42 65 07 09

www.theatremadeleine.com

 

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