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Critique • « Destins » Ecrit et mis en scène par Gérald Hubert – Théâtre de l’Opprimé

Mai 04, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « Destins » Ecrit et mis en scène par Gérald Hubert – Théâtre de l’Opprimé

Critique d’Anna Grahm

Le choix d’un homme libre

Le jour de son mariage, un homme se pend. Ceux qui se réjouissaient d’être venus à la noce sont sidérés. Ils étaient tous prêts, tout près de fêter le bonheur qui s’annonçait, tous venus pour se réjouir avec lui. Mais le malheur a frappé, ou plutôt l’homme a décidé de son sort et s’en est délesté. L’homme est libre. Il peut à tout moment décider d’en finir. Il peut choisir de dépasser ce qui l’encombre ou choisir de précipiter son issue, et c’est pour se libérer qu’il met sa dernière heure en scène sur un tabouret. L’homme est libre des actes qu’il pose et va mettre fin à ses jours en rejetant son incapacité à vivre sur le dos des siens. Les témoins du drame se retrouvent sur le banc des accusés. Il est libre celui qui est parti, il peut enfin reprocher à ses proches ce qu’il n’a pas su leur dire. Et il les laisse là, désemparés, furieux, amers, coupables.

Cet homme-là a vécu sous Prozac, vissé à ses limites sans jamais trouver de véritable équilibre. Cet homme-là s’est transformé en consommateur viril et a collectionné les conquêtes féminines pour éviter la malédiction qui le guettait. Le dispositif scénique va le faire revenir hanter ceux qui n’ont pas su l’aimer. Il tourne autour de tous ceux qui restent et se souviennent, et se révoltent. Il tient tout le premier acte à les questionner pour les mettre face à leurs responsabilités. Et son absence les renvoie à ce qu’ils sont, à ce qu’ils ont été, à ce qu’ils auraient du être. Que  vont-ils comprendre d’eux-mêmes à travers ce geste désespéré, comment feront-ils le deuil, l’histoire ne le dit pas. Elle nous raconte des êtres pétris de manquements, piégés par leurs illusions et leurs aveuglements, eux aussi sur la voie de la tragédie. Seule la presque mariée, aérienne innocente échappe à la désespérance morbide.

Les hommes choisissent la liberté

Dans cette pièce écrite et mise en scène par Gérald Hubert, deux styles d’écriture cohabitent et les acteurs passent du registre poétique à un registre familier pour s’ancrer dans les évènements déliquescents de notre époque. Les complicités entre frère et sœur sont effleurées, les grandes lignes de la cellule familiale desséchée sont dessinées. L’enfermement du couple tisse les barreaux de la prison dans laquelle les uns et les autres se débattent. Aucun ne semble suffisamment armés pour sortir du cercle déstructuré dans lequel ils sont nés. On a très envie que Boris Cyrulnik vienne leur parler du concept de résilience, on a très envie que s’invite la délicatesse et l’intelligence pour les sauver de cet enfer. Mais dans cette histoire-là, l’homme qui réclame justice s’est enchainé à un destin vengeur. Sa disparition a pour but de faire souffrir, sa dernière volonté est de suivre la fatalité. Il paie le prix de son indépendance en retournant à la poussière et compte sur ceux qui suivront après lui pour construire un monde meilleur. Sébastien Ehlinger scénographe imagine une structure métallique qui fait avancer ou reculer le temps. Chaque fois que le bras de métal bouge sur son axe, il nous ramène vers des endroits plus ou moins éloignés du passé. L’histoire du défunt est livrée en puzzle dont les petites pièces éparpillées ne nous livrent pas toujours la cohérence du propos. Tout est lié et la grande roue de l’Histoire déroule les secousses de la tyrannie par bribes, tout est relié aux racines et aux déracinements. Tout repose sur le courage d’entreprendre et se décompose sur des faillites plus intimes, sur les faiblesses d’un père abonné aux départs, sur les carences d’une mère qui n’a pas eu le destin dont elle rêvait. Tout se délite dans la fuite et les petites lâchetés ordinaires. Tout se recompose sous les effets d’horloge, tous ensembles, ils retraversent des temps qu’ils ont partagés, des moments qu’ils ont évité, qui déjà s’oublient. Il semble que l’auteur Gérald Hubert ait voulu nous rappeler que la conquête de notre liberté est essentielle à la construction d’un homme mais l’on regrette l’angle ingrat donné aux femmes, les sempiternels rôles de marâtre et de putain.

La certitude de la finitude est là de toute éternité, mais l’être humain sait qu’il possède en lui des ressources incalculables et l’on tombe d’accord lorsqu’à la toute fin le pendu nous dit qu’il faut « seulement se rappeler des belles choses ».

 

Destins
Ecrit et mis en scène par Gérald Hubert
Assistante à la mise en scène : Claire Cholet
Scénographe : Sébastien Ehlinger
Costumes : Élisabeth Berthelin, Gérald Hubert
Lumières : Tanguy Gauchet
Avec Bénédicte Stalla-bourdillon, Bruno Forget, Etienne Bartholomeus, Fabienne Bailly, Gaëlle Bourgeois, Gérald Hubert, Martine Levesque

Du 2 mai au 13 juin – Du  mercredi au samedi à 20h30- Dimanche à 17h

Théâtre de l’Opprimé
78/80 rue du Charolais 75012 Paris
Métro Reuilly-Diderot ou Montgallet
Réservation 01 43 45 81 20
www.theatredelopprime.com

 

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