Critique de Denis Sanglard
Brigitte Fontaine en Paradis
Pour ceux qui ne voient en Brigitte Fontaine qu’une chanteuse excentrique « au look de libellule » dont chaque apparition stupéfie et crame ceux à qui elles s’adressent en des soliloques surréalistes, ceux là sans aucun doute passent à coté de ce qui est loin d’être un phénomène de foire. Monstrueuse, oui, Brigitte Fontaine l’est. Monstrueuse de talent et de générosité. Chanteuse, écrivain et poète se déguisant sous le fard d’une excentricité qui n’est que pudeur et peur de petite fille lucide effrayée du vacarme du monde et de la saloperie des hommes. Brigitte Fontaine est folle. C’est elle qui le dit. Folle de fringues dont elle se drape comme on se cuirasse. Folle dit-elle, conne chante-t-elle. Mais c’est un grand écrivain. Là se love sa folie, dans l’écriture. Celle qui se rêvait Phèdre et qui chante n’être « qu’un genre humain » est une femme furieusement libre, inclassable. Sphinge narquoise où chimère déchirée d’angoisse qui hurle sa colère noire au monde, Brigitte Fontaine, du fond des cafés aux palaces, n’est jamais là où on l’attend, toujours en avance, toujours devant.
Emmanuelle Monteil n’a pas eu peur de l’ombre ogresse de Brigitte Fontaine. Elle plonge dans l’écriture comme on se noie avec un appétit, une vitalité, une urgence dingue. Textes connus, méconnus et inconnus dessinent en creux un portrait – imaginaire ? – de Brigitte Fontaine. Concierge rue de Bucy ou femme fatale, en colère, ivre de rage contenue ou explosée et d’appétit de vivre, amoureuse inquiète ou mouche délicate. C’est un jeu de portrait chinois où éclate une écriture singulière d’une force et d’une délicatesse rare. Rien de trop. C’est concis et tranchant. Les mots sont justes toujours et vertueux jusque dans leurs mauvaises fréquentations. Le style pendule du cru au baroque, grand écart qui ne craint pas de faire grincer les articulations. C’est là sans aucun doute que réside le portrait de Brigitte Fontaine. Celui d’un écrivain, d’un poète dont la craie crisserait sur le tableau. Le choix d’Emmanuelle Monteil est judicieux qui de façon sensible déploie tout à la fois la richesse de cette écriture implosive aux fulgurances poétiques abrasives et la cohérence d’un univers loin de l’excentricité affichée par son auteur. Malheur aux dupes ! Emmanuelle Monteil adopte le dépouillement ne cherchant nullement à coller à l’auteur, se démarquant de toute identification attendue. Brigitte Fontaine est ainsi écorchée promptement, grattée jusqu’à l’os. Un recul nécessaire qui laisse toute la place à l’écriture et à la liberté du jeu. Ce qui nous fait oublier une dramatisation parfois un peu excessive là où sans doute Brigitte Fontaine aurait mis de la distance, une heureuse ironie. Petit bémol qui n’enlève en rien aux qualités d’Emmanuelle Monteil, formidable conteuse et comédienne qui donne à entendre avec bonheur et fougue cette Colère noire. Hasard ou non, la salle du Lucernaire où cette création s’entend se nomme Le Paradis. Brigitte Fontaine, au Paradis ?
Colère noire
De Brigitte Fontaine
Adaptation et mise en scène : Gérald Schuman
Interprété par Emmanuelle Monteil
Musique et illustration sonore : David Aubaile
Scénographie : Christine Bouvier
Lumière : Uwe Backhaus
Conception graphique : Sophie Ferreira-Lafargue
Du mardi au samedi 21h – Jusqu’au 14 avrilThéâtre Le Lucernaire
53, rue Notre-Dame-Des-Champs 75006 Paris
Station : Notre-Dame des Champs, Vavin, Saint Placide ou Raspail Réservations : 01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr