Critiques // Critique •« Se trouver » de Luigi Pirandello au théâtre de la Colline

Critique •« Se trouver » de Luigi Pirandello au théâtre de la Colline

Mar 17, 2012 | Aucun commentaire sur Critique •« Se trouver » de Luigi Pirandello au théâtre de la Colline

Critique de Djalila Dechache

« Se trouver », un verbe que l’on ne conjuguera plus par hasard.

A y regarder de près, il y a souvent une intention d’amour sur la raison de l’existence d’un texte. Avec ce texte si peu monté, « Se trouver » (1932) n’échappe pas à cette règle érigée en manifeste de l’art du comédien. Cette thématique évolue sur plusieurs textes de Luigi Pirandello, de « Six personnages en quête d’auteur » (1921) aux « Géants de la montagne » (1936).C’est pour sa muse et comédienne Marta Abba qu’il écrivit ce splendide texte au titre si évocateur et au vertige puissant portant « sur le désir d’être dans la vie et passion de la créer ». Une diva de la scène Donata Genzi (Emmanuelle Béart), « au summum de sa gloire »qui a tout joué, toutes les émotions et tous les drames, les passions et les larmes, qui a vécu toutes sortes d’amour sur scène. Alors qu’elle s’éprend de l’artiste Ely (Vincent Dissez) tout en énergie vorace, qui voue une haine pour le théâtre, elle doit choisir : se donner, et même s’adonner à l’homme, ou poursuivre sa trajectoire qui ne lui suffit plus, toute de passions au théâtre. La vie devient alors fade si peu exaltante avec cet homme égoïste, car « il fait trop attention à lui », elle lâche l’un pour l’autre C’est qu’il faut pouvoir tout aimer, pouvoir tout faire ! Comment ?

Une scénographie monumentale, inspirée de l’architecture constructiviste des années 30, de clinquantes toilettes de la diva entourée de sa cour en émoi telle une châtelaine, une musique écrasante, un texte parfois daté sur des points de détail, donnent une tonalité lourde et pesante, demandent une attention irrégulière, qui connaît des hauts et des bas.

Dans le second acte, on peut se demander pourquoi, Donata Genzi semble enlaidie et souvent vue de dos, affublée de sous-vêtements qui la gainent et la mettent à nu de manière si crue ? Parce qu’elle ne se voit plus dans un miroir et qu’elle s’enferme avec son amant, loin du regard du monde ? Et lorsqu’elle se présente « richement  » habillée, elle se prend les pieds dans sa robe, semble décoiffée tout au long de la pièce.

Emmanuelle Béart a affirmé dans la presse qu’elle a vu de véritables points communs avec Donata Genzi

Donata : « Je connais trop mon visage ; je l’ai toujours façonné, trop façonné. A présent, ça suffit ! A présent,  je le veux « mien« , tel qu’il est, sans que je le voie. »

Et encore, dans la description troublante de ressemblance qu’en a faite l’auteur lui-même, cité par Léonardo Sciascia : « Elle est très jeune et d’une beauté merveilleuse. Cheveux fauves, bouclés. Yeux verts, longs, grands et brillants, qui parfois, dans la passion, se troublent comme l’eau d’un lac ; parfois, dans la sérénité, s’arrêtent en regardant, limpides et doux comme une aube lunaire ; parfois, dans la tristesse, ont la dolente opacité de la turquoise. La bouche a souvent une expression douloureuse, comme si la vie lui donnait une amertume dédaigneuse ; mais si elle rit, elle a aussitôt une grâce lumineuse qui semble éclairer et aviver toutes choses. ».

«Se trouver » est une magnifique pièce qui joue sur les méandres du métier de la scène et de la vie ; en 2h20mn, L. Pirandello nous conduit dans des endroits rarement investis au théâtre et a fortiori par un rôle féminin.

En trois actes, savamment étudiés et tracés par amour d’un Pirandello poétiquement méticuleux, trois temps que l’on soit sur scène et dans la vie, toute l’essence de la scène, l’essence de la vie est là, prête à prendre corps.

Pour se trouver, il faut se donner et se perdre. Ce n’est qu’à partir de là que l’on devient. Que l’on devient autre.

« Se trouver », un verbe que l’on ne conjuguera plus par hasard.

Stanislas Nordey a réussi une belle prouesse par l’atmosphère qui règne sur le plateau : elle nous emporte loin, dans un lieu presque irréel où l’on se rend, consentant et prêt, pour ETRE enfin et se réaliser loin du vernis des conventions imposé et si lourd à porter.

Luigi Pirandello (1867-1936) a reçu en 1934 le prix Nobel de littérature « pour son renouvellement hardi et ingénieux de l’art du drame et de la scène ».Et l’on comprend aisément pourquoi.

SE TROUVER

De Luigi Pirandello

Traduction : Jean -Paul Managanaro
Mise en scène : Stanislas Nordey
Collaboratrice artistique : Claire Ingrid Cottanceau
Scénographie : Emmanuel Clolus
Lumières : Philippe Berthomé
Son : Michel Zurcher
Costumes : Raoul Fernandez
Coiffures : Jean-Jacques Puchu-Lapeyrade
Assistante : Marine de Missoiz

Avec :

Emmanuelle Béart : Donata Genzi
Claire-Ingrid Cottanceau : Elisa Arcuri

Michel Demierre : Carlo Giviero
Vincent Dissez : Ely Nielsen
Raoul Fernandez : Volpes
Marina Keltchewsky : Nina
Frédéric Leidgens : Le comte Gianfranco Mola
Marine de Missolz : Une femme de chambre
Stanislas Nordey : Salò
Véronique Nordey : La marquise Boveno
Julien Polet : Enrico

Théâtre National de la Colline
15 rue Malte-Brun
75020 Paris
Métro Gambetta
réservations : 01 44 62 52 52
du 6 mars au 14 avril 2012
du mercredi au samedi 20h30, mardi à 19h30
dimanche à 15h30.

www.lacolline.fr

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