Critiques // Critique. « Eugène Onéguine » d’Alexandre Pouchkine à la Maison de la poésie

Critique. « Eugène Onéguine » d’Alexandre Pouchkine à la Maison de la poésie

Nov 12, 2012 | Aucun commentaire sur Critique. « Eugène Onéguine » d’Alexandre Pouchkine à la Maison de la poésie

Critique de Jean-Christophe Carius

©Benoit Linder

Cartographie poétique de la vie russe

Alexandre Pouchkine, écrivain russe de la première partie du XIXème siècle, fut un authentique génie de l’art poétique. Son œuvre déclencha l’éclosion de la littérature en langue russe, comme un prince charmant éveille d’un baiser à sa nouvelle vie, une princesse endormie. Aristocrate au sang mêlé d’origines africaines, polyglotte immensément lettré et instruit des réflexions de l’Europe de son époque, « prestidigitateur des sons, des sens et des idées »,  il cristallisa si somptueusement l’idiosyncrasie des mœurs du peuple russe qu’il en devint dès lors, et pour longtemps, la référence culturelle ultime. L’essence de son œuvre, qualifiée de profondément « russe », a toujours été considérée comme quasiment insaisissable par l’esprit de tous ceux qui ne le sont pas.

Dans son roman en vers « Eugène Onéguine », Pouchkine cartographie avec une aisance littéraire prodigieuse les nombreuses dimensions de « la vie russe ». Le lyrisme de la forme, la transparence du sens, la multiplicité des registres et la subtile et amicale adresse au lecteur constituent les voies d’une expression qui débordent de beaucoup le simple cadre du synopsis : une histoire d’amour inaccompli entre un dandy désabusé et une jeune fille sage au profil idéal. Passionné par cet auteur, le poète et traducteur d’origine russe, André Markowicz, a publié en 2005 une version française de ce poème dans laquelle il met en œuvre toute sa science linguistique et son talent d’écriture pour restituer le plus fidèlement possible la forme originale et la magie intrinsèque de ce verbe à l’éloquence impressionnante.

Inspiré par cette version de Markovicz, avec lequel il collabore régulièrement, Jean-Yves Ruf s’est emparé de ce texte pour en travailler l’interprétation scénique. L’atelier-spectacle, dans lequel il dirige les 13 élèves-comédiens du groupe 40 de l’École supérieure d’art dramatique du TNS de Strasbourg, s’érige autour du principe d’une récitation poétique à plusieurs voix. Réduisant le plateau théâtral classique à la superficie de deux tables placées au centre du dispositif, et élargissant le périmètre de la salle jusque sur la scène par un ensemble de sièges où circulent les comédiens au gré de leurs prises de parole, la mise en scène comble admirablement les habituelles douves qui séparent le plateau des fauteuils, et diffuse sur l’assistance une véritable atmosphère de communion chaleureuse et conviviale.

La variation continue des voix qui se succèdent dans une narration poétique fleuve ressemble à une longue conversation qui se tiendrait sur le fond changeant des paysages menant au cœur de la Russie. La maestria lyrique et pédagogique de Jean-Yves Ruf accorde avec justesse la sonorité sensible de chaque jeune comédien et crée un ensemble musical qui court de strophes en strophes et illustre à merveille la multiplicité de tons, méditations, dialogues, émotions, digressions… colorant le rythme original de ces quatrains magnifiques. Le texte insaisissable se lève alors devant nos yeux et nous invite à trinquer au goût si spécifique de la vodka. Et l’on reste touché au cœur dans ce duo entre narrateur et spectateur, récit à l’image d’Alexandre Pouchkine, qui se tua à 37 ans, dans un duel qu’il provoqua par amour et par honneur.

Eugène Onéguine D’Alexandre Pouchkine
Traduction André Markowicz
Dirigé par Jean-Yves Ruf
Atelier du groupe 40 (3ème année)  de l’Ecole Supérieure d’Art Dramatique du Théâtre National de Strasbourg
Avec Léon Bonnaffé, Laurène Brun, You Jin Choi, Kyra Crasnianschy, Jules Garreau, Thaïs Lamothe, Thomas Mardell, Céline Martin Sisteron, Sarah Pasquier, Romain Pierre, Bertrand Poncet, Alexandre Ruby, Eva Zink (élèves comédiens), Hélène Jourdan (élève scénographe), Diane Guérin, Thomas Laigle (élèves régisseurs).
Durée 3h avec deux entractes
Maison de la poésie Passage Molière – 157, rue Saint-Martin 75003 Paris
Les 8, 9, 10 et 12 novembre 2012 à 20 h Grande salle
Entrée libre sur réservation au 01 44 54 53 00 (du mardi au samedi de 14h à 18h)
M° Rambuteau RER Les Halles
http://www.maisondelapoesieparis.com

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