Critiques // Critique. « Belle du Seigneur » de Albert Cohen. Mise en scène de Jean-Claude Fall. Théâtre de la tempête

Critique. « Belle du Seigneur » de Albert Cohen. Mise en scène de Jean-Claude Fall. Théâtre de la tempête

Nov 18, 2012 | Aucun commentaire sur Critique. « Belle du Seigneur » de Albert Cohen. Mise en scène de Jean-Claude Fall. Théâtre de la tempête

ƒƒ Critique d’Anna Grahm

© Marc Ginot

L’amour du théâtre

Belle du Seigneur est un monument de la littérature pour lequel Albert Cohen reçoit à sa publication en 1968 le grand prix de l’Académie Française. S’attaquer à cette histoire d’amour est un défi colossal. Jean-Claude Fall qui porte chevillé au corps l’amour du théâtre, s’empare avec Roxane Borgna de cette œuvre flamboyante. Se dessine à travers un séquençage des monologues de la langue d’Albert Cohen, les méandres d’une pensée amoureuse, se dessine et s’impose le cheminement d’une passion absolue. La passion d’Ariane et Solal. Vitale. Fondamentale. L’amour, la passion qui fonde aussi la démarche artistique de cet homme de théâtre qui a mis en scène plus de 70 spectacles, qui s’est toujours attaché à la responsabilité de la prise de parole publique dans la représentation théâtrale, qui a toujours partagé sa passion des grands textes, en s’entourant d’acteurs et actrices incandescents. Oui Jean-Claude Fall est à l’image de ses héros, un chercheur d’absolu.

Ici il décide de retenir en captivité un corps débordant d’amour dans un volume réduit, et nous fait éprouver grâce à une extraordinaire proximité, la jubilation d’aimer. Confidences, confettis de perles d’eau, jets de mots. Dans ce bain de sensualité, il convoque sur une mince surface, une tessiture de génie, il fait défiler sirène, madone, star trash, il dé ritualise le quotidien, multiplie les regards croisés de la chair pour mieux nous conduire du singulier à l’universel.

Le fil d’Ariane

Notre héroïne Ariane D’Aube, issue de l’aristocratie protestante, est l’épouse d’Adrien Deune, petit bourgeois étriqué, quand Solal, juif haut responsable à la société des nations, la séduit. Elle va nous raconter les fureurs, les fuites, les folies que cet amour fulgurant lui fait traverser. Roxane Borgna immergée dans sa baignoire plonge en elle-même pour rencontrer le fond de sa vérité. Elle jaillit, rugit, pâlit, rit, pleure, danse d’une confidence à l’autre, émouvante, déchirante, éclatante de vitalité. Elle enchante les sens, elle est toutes les femmes, tour à tour puérile, possédée, puissante, pathétique. Et chaque couleur de sa palette intime nous surprend, nous éblouit, nous ravit et l’on s’amuse de sa crédulité, de son corps transi, de son besoin délirant, éhonté et étourdissant. Elle baigne dans le désir, se baigne dans l’eau brûlante de sa baignoire, seul endroit où elle peut librement se laisser aller à sa « manie de la solitude », où elle peut s’abandonner à la rêverie de l’être aimé, où elle peut renaître grâce à lui. Aimer, quête quasi mystique. Aimer. Croire en l’autre. Quitter son monde. Accepter de tout perdre, tout risquer au nom de l’autre. Au nom de l’amour, vivre sa passion. Échapper au temps. S’abandonner, tout abandonner, et livrer bataille avec son cœur d’enfant. Découvrir le véritable engagement de l’amour, être portée par la vague irrépressible qui menace de la noyer, sentir les baisers avant que les bouches se touchent, se sentir embrassée même à distance, être embrasée de l’intérieur dans la proximité de l’homme pour lequel la jeune femme se consume. Au fil de sa solitude elle fait le point, pointe la grande flamme qui la dévore, voilà qu’elle se confie au-delà de la pudeur, voilà qu’elle admet ces « viols de vierge» qu’elle a le sentiment de subir sous les assauts de son mari, voilà qu’elle s’avoue faible et honteuse, voilà qu’elle se sait forte de son nouvel attachement, elle se sent si « différente avec lui ».  La voilà, « brûlante des délices de l’attente », dans « sa folie de se faire belle pour lui ». La voilà muse, amante, servante. Elle est adorable, candide, érotique, elle est midinette, elle est Ruth dans le Chant des chants et la Prouhèze de Claudel. Elle est envoûtée, envoûtante, solaire.

Ariane d’Aube a rencontré Solal le 1er mai 1935 à midi. À l’instar d’Albert Cohen, il faut continuer de dire publiquement que la passion fait disparaître les peurs ancestrales, il ne faudrait jamais cesser de dire avec ce même entêtement que l’amour refonde les rapports entre les êtres. Après ce spectacle, cette incantation souterraine délivrée avec tant de justesse devrait résonner pour longtemps.

Belle du Seigneur

De Albert Cohen
Mise en scène Jean-Claude Fall et Renaud Marie Leblanc
Avec Roxane Borgna
Collaboration à la scénographie : Gérard Didier
Décor, costumes et lumières réalisées par l’équipe technique du Théâtre des treize vents.
Du 15 Novembre au 16 décembre 2012 – Du mardi au samedi 19 H 45 -Dimanche 15 h 30
Théâtre de la tempête
Cartoucherie
Route du champ de Manœuvre 75012 Paris
Métro : château de Vincennes Bus 112- arrêt Cartoucherie
Réservation 01 43 28 36 36
http://www.la-tempete.fr/

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