Critiques // Critique• Nosferatu de Grzegorz Jarzyna au Théâtre de l’Odéon-ateliers Berthier

Critique• Nosferatu de Grzegorz Jarzyna au Théâtre de l’Odéon-ateliers Berthier

Nov 20, 2012 | Aucun commentaire sur Critique• Nosferatu de Grzegorz Jarzyna au Théâtre de l’Odéon-ateliers Berthier

Critique de Dominika Waszkiewicz

photo © Stefan Okołowicz

Les lumières se rallument dans la salle de l’ancien magasin de décors et l’on ne sait trop quoi penser de ce que l’on vient de traverser. Les visages voisins reflètent le même désarroi, la même torpeur étonnée.

Pourtant, pendant la première heure de représentation, il paraissait évident que la pièce était ratée, qu’elle avait manqué son but.

La scénographie révélait maladroitement des symboles trop évidents et dont la somme ne proposait qu’un paysage disharmonieux et laid. En effet, pourquoi, au lieu des surfaces polies des miroirs, nous servait-on ces irrégularités à peine planes et dont les reflets aléatoires gênaient le regard ?

Et, que dire du jeu des comédiens ? Difficile de cerner les personnages, de définir leurs désirs, leurs « schémas actantiels ». Ils semblent déambuler, raides et flasques, sans but ni envie. Marionnettes interchangeables et désabusées errant entre des portes ressemblant à des cercueils ouverts…

Ah ! On se dit que là réside certainement le sens : ce serait une histoire sur l’homme moderne, tragiquement dénué de force et de volonté propre… Ok, mais pourquoi se tourner pour cela du côté du célèbre roman de Bram Stoker ? Pourquoi Nosferatu ? Pourquoi le vampirisme alors que d’autres textes auraient été tout à fait appropriés pour illustrer ces tristes thèmes ?

Alors, fausse piste ?

Quoiqu’il en soit, au début, on a l’impression de rester à  l’extérieur, spectateur indifférent et peu curieux.

« L’humanité, je suppose, atteindra un jour un point où les hommes ne seront plus capables de mourir, allant et venant en conséquence entre la vie et la mort »

Puis, quelque chose nous happe…

Dès la première scène et le discours du Docteur Seward (Jan Englert) sur les particules, Grzegorz Jarzyna nous parle de science et de rationalité. Ce leitmotiv continue avec l’autopsie de Lucy (Sandra Korzeniak), opérée sous des néons et dans le cadre d’un cérémonial digne des clichés filmiques (scalpel, dictaphone, etc.). Cependant, la science ne semble guère revêtir les appâts d’une voie à suivre : elle se révèle insatisfaisante et, finalement, décevante.

Il en est de même de l’amour. Plus précisément de la sexualité. On assimile souvent le vampirisme à une pulsion érotique. Mais, ici, encore une fois, on a l’impression de faire fausse route. Aucune des images proposées, de Lucy se cambrant en avant-scène dans des positions d’hystérique à Mina se faisant caresser par Arthur, ne vient corroborer nos pronostiques. Les scènes restent froides et leur caractère néanmoins explicite ne semble véhiculer aucun début de sensualité. C’est froid. Triste. Laid. Comme la haute culotte chair de Lucy.

Un nuage de fumée s’élève soudain à jardin. La musique s’empreint d’inquiétante étrangeté. De lugubres bruits s’échappent des coulisses. Et Dracula/Nosferatu (Wolfgang Michael) fait son entrée, ombre menaçante… Des images du film de Coppola nous reviennent en mémoire pour, bien vite, s’effriter dans une délicate mais évidente ironie refusant la veine gothique.

Le spectacle nous donne des embryons de sentiers se terminant inévitablement par des impasses, niant ainsi toute valeur humaine : du mysticisme de Renfield (Lech Łotocki) qui agonise sous l’œil bleu d’un Adam de pierre, à l’égoïsme matérialiste d’Arthur (Adam Woronowicz). Ce ne sont que labyrinthes articulés sur un enchaînement scénique plat et refusant jusqu’à l’incarnation théâtrale.

Un théâtre qui ne croit pas au théâtre ?

Une expérience synesthésique déroutante

Quelle est cette force qui nous attire ?

À l’aide d’une temporalité singulièrement lente et hypnotique conjuguée au remarquable travail sonore de John Zorn, le metteur en scène polonais nous fait réellement vivre une expérience unique. Il nous donne à sentir le vide et le désarroi d’un temps où les mythes ne jouent plus leur rôle fondateur.

Par le biais d’images saisissantes et parfois étonnamment belles, comme lorsque Lucy-vampire prend des allures d’ange déchu derrière les projections de Bartek Macias, Jarzyna nous raconte les métamorphoses d’un monde déconnecté du folklore et de ses racines terriennes.

Un théâtre pour le moins étonnant explorant des domaines bien peu fréquentés et dont seule l’expérience peut rendre fidèlement compte !

Nosferatu
D’après Dracula de Bram Stoker
Adaptation et mise en scène : Grzegorz Jarzyna
Scénographie et costumes : Magdalena Maciejewska
Musique : John Zorn
Lumière : Jacqueline Sobiszewski
Vidéo : Bartek Macias
Dramaturgie : Rita Czapka
Avec : Jan Englert, Krzysztof Franieczek, Jan Frycz, Marcin Hycnar (16, 17 et 18 nov.), Sandra Korzeniak, Lech Łotocki, Wolfgang Michael, David Ogrodnik (20, 21, 22 et 23 nov.), Katarzyna Warnke, Adam Woronowicz et Jacek Telenga
Jusqu’au 23 novembre – Tous les jours à 20h sauf le dimanche à 15h -Relâche le lundi
Théâtre de l’Odéon
Ateliers Berthier
1, rue André Suares, Paris 17e
Métro : Porte de Clichy
Tél : 01.44.85.40.40
www.theatre-odeon.eu

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