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Critique• «Poli-Kratos» ville état, dramaturgie Kanigunda, au théâtre des Abbesses

Juin 15, 2012 | Aucun commentaire sur Critique• «Poli-Kratos» ville état, dramaturgie Kanigunda, au théâtre des Abbesses

Critique d’Anna Grahm

La compagnie Kanigunda tente, à travers un travail collectif, d’ouvrir une réflexion, sur l’actualité brûlante de la Grèce d’aujourd’hui.

La question de la démocratie

Un espace scénique presque nu. Deux fauteuils club dans un coin. Au fond, plusieurs rectangles d’écrans cousus ensemble pour n’en faire qu’un, coutures qui accrocheront l’œil et donneront aux images cette étrange ombre fil barbelé qui renforcera l’impression d’enfermement.

6 acteurs, dont 3 femmes vont commencer une drôle de gesticulation muette sur des images d’Athènes. Le commentaire nous parle de démolition, reconstruction de parois de verre lisse et de balcons. La représentation du peuple se fait à travers les trois femmes. L’étrangère, celle qui porte la terre avec elle, une allégorie de la gauche dans sa robe rouge et une fille du peuple. Entrée des névroses d’une population suicidaire « qui ne s’aime pas ». Monsieur Loyal, incarné par une femme très androgyne, s’empare du micro pour interroger les acteurs. Où sommes-nous. Sur une scène de théâtre, dans un asile de fous. Ils doivent apprendre à aimer être des esclaves, aimer être des esclaves ou mourir. Dans le trop plein d’informations qui se dit, en même temps qu’on doit regarder, se glisse un chiffre. 1760 suicides en deux ans. Au travers de la métaphore de l’asile se rejoue, sous forme de psychodrame, les quelques 100 dernières années. Ainsi s’effleure, pêle-mêle, un caléidoscope de pistes qui cherche leur explication : 1922, le bombardement de Smyrne, le dette de guerre effacée de l’Allemagne, la question de l’eau, la collaboration. Émaillé de chansons d’amour, le spectacle tente de comprendre comment ils en sont arrivés là. Le père de la nation, en redingote, qui rappelle Papandréou lors de ses interventions au parlement, affirme de son estrade : « Je vous ai assuré la sécurité ». L’histoire des ‘Georges’ se déroule, douce amère, se déplie, se débobine, le grand George, le petit, quelque part un robinet coule, la logorrhée continue, comprendre à tout prix, le pourquoi ils ont laissé faire, la collusion entre le peuple et ses dirigeants, le clientélisme, pourquoi ils ont laissé transformer le théâtre « Amore »  en supermarché, « on est toujours à la recherche de nos racines » dit pourtant l’un d’entre eux.

La démocratie en question

Les grecs vont voter, le peuple va se prononcer. Le pouvoir du peuple est représenté souffrant, monsieur Loyal s’en réjouit. « La peur vide le cerveau », l’électrochoc a mené à l’apathie, tant mieux, très bien, il y aura moins d’affects. Mais qui est donc ce personnage imbuvable, tour à tour, capo, surveillante psychiatrique, prêteuse de fond. Qui est-elle, où sommes-nous, où en sommes nous. S’ils sont dans la tragédie c’est de leur faute assène le personnage ambivalent, accroché à son micro, cette personne meneuse de revue, asexuée et bientôt figure assumée, incarnation de Siemens. Siemens sur la sellette, Siemens en accusation.

Ils avaient tout inventé de la démocratie, mais « l’utopie de la démocratie est morte », l’argent reprend ses droits, l’argent dit le droit. S’ils veulent que le spectacle continue, il va falloir faire allégeance au préteur d’argent. Tous signent. Pour rembourser le double en étant payé deux fois moins. Tous signent et s’indignent. Fermez le robinet. L’ordre est lancé doucement et tous, attendons, attendons qu’ils ferment eux-mêmes l’insupportable petit bruit de l’eau qui ne cesse de s’écouler. Le spectacle est démembré, désarticulé à l’image de cette danse masculine, où les corps des femmes sont soumis par la gestuelle machiste, les corps féminins s’aplatissent, rampent sur scène. Tandis que derrière, sur l’écran, des visages de femmes de pouvoir défilent, Thatcher, Hillary Clinton, Condoleezza Rice, Christine Lagarde. Soudain quelque chose me manque. Le brûlot n’est porté que contre la dynastie des pères de la nation mais aucune critique de l’église, aucune allusion sur une séparation des pouvoirs religieux et du politique n’est esquissée. Le spectacle dit la situation du pays, il tente de représenter le chaos, la désorientation dans laquelle la population se trouve. Le peuple va-t-il confirmer son rejet de l’austérité. Nous le saurons demain.

Poli-Kratos en grec surtitre
Mise en scène de Yannis Léontaris
Avec Maria Kechagioglou, Georgos Frintzilas, Maria Maganari, Rebecca Tsiligaridou, Effhimis Théou, Anti Efstratiadou

Jeudi 14 et vendredi 15 juin à 21h

Théâtre des Abbesses
31 rue des Abbesses 75018 Paris
Métro : Abbesses
www.theatredelaville-paris.com
Réservation : 01.42.74.22.77

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