Critique de Jean Roissy

Qu’est-ce que l’art d’hériter ?

« Nous ne cherchons pas à connaître la couleur de ses yeux, mais comment changent les choses après qu’il y ait posé le regard » écrit Armand Gatti, à propos de Buenaventura Durruti (auquel il a consacré une pièce[1]). De même, ici, c’est au portrait d’un regard que nous assistons. C’est dans les creux, les brèches, cicatrices et frontières persistantes -ou rémanentes, à la manière d’une lumière vive-, d’une ville cartographiée à force de promenades et de témoignages, que Françoise Lepoix est partie à la recherche du regard de Anna Seghers : « allemande, juive, communiste, antifasciste, femme, mère… ». Que reste t’il d’Anna Segers dans le Berlin de 2009 ?

Lesquels de ces mots ont encore une signification plus de vingt ans après la chute du mur de Berlin? Françoise Lepoix, pendant une année, a travaillé (à) Berlin, pour trouver une réponse à cette question : un portrait possible de Anna Seghers. Elle nous en livre le résultat, sous une forme théâtrale, documentaire, mosaïque et musicale.

Ce spectacle pourrait se présenter comme une variation sur l’art d’hériter. Mais s’agit-il d’hériter d’une femme, d’une ville, d’une œuvre ? Le travail de Françoise Lepoix ne prend jamais l’allure d’une épopée sentimentale, ni ne court le risque de statufier son « héroïne ». De peur peut-être de l’enfermer dans une de ces versions successives, un de ces récits qui balisent notre parcours. A travers eux se dessine une Allemagne de l’est, bien lointaine pour certain.e.s (les plus jeunes), tandis que pour d’autres elle est omniprésente. Au point que la metteuse en scène s’interroge soudain : est-ce que dans ses déplacements, elle n’emporte pas le mur avec elle, dans sa tête ? Est-ce que son projet n’est pas condamné à se décliner parmi les « –ex » qui composent cette histoire ? Litanie de l’autrefois, du révolu. Quelle existence ont ces « -ex » dans un Berlin renouvelé, réaménagé ? Et surtout, comme le demande une femme alors que s’effondre le mur entre les deux Allemagnes : « Mais qui est-ce qui faire peur aux riches maintenant ? » va malgré tout, le « portrait d’Anna Seghers » parvient à conserver la légèreté d’une promenade en pays étranger. En langue étrangère. La musique nous sert alors de traductrice, pour passer d’un côté à l’autre du mur, de l’Histoire ; de l’un à l’autre de ces mots, que nous emportons avec nous, à l’issue du spectacle. A travers la figure de Seghers, c’est de l’appétit qu’on nous redonne pour eux. Ainsi que pour l’œuvre de Seghers, dont certains des titres deviennent familier au cours de la représentation (Les sept croix, qui trace le parcours de sept antifascistes, dont six mourront). Ainsi que pour ses actes : témoin, cette séquence retranscrite par un agent de la STASI, d’une réunion d’écrivains en Allemagne de l’est, où devait se décider l’exclusion de Heiner Muller. Anna Seghers, au terme de la séance, se lève, sert la main de l’écrivain, et sort en silence.

Portrait d’Anna Seghers
Écriture et mise en scène de Françoise Lepoix en collaboration avec Nicolas Fleury
Avec Françoise Lepoix, Aurélie Youlia et Stan Valette
Scénographie et costumes de Nicolas Fleury
Son, musique et lumières de Stan Valette
Dramaturgie de Isabelle Rèbre

Du 25 au 28 avril 2012 à 20h30

Réservation : 01 43 45 81 20 / Mail : comtdo@orange.fr

Théâtre de l’opprimé

78/80 rue du Charolais 75012 Paris

Métro : Reuilly-Diderot- Montgallet

www.theatredelopprime.com

Théâtre le comte de Lisle.

St-Paul de La Réunion
19 mai 2012
Théâtre Les Bambous
St-Benoit de La Réunion
Les 22, 24, et 29 mai 2012
Théâtre Paris Villette
10 représentations durant la saison 2012/2013

La colonne Durruti.

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