Critique de Rachelle Dhéry
Seule, sur la scène du Théâtre de l’Essaïon, Fane Desrues, assise sur une chaise posée dans l’angle droit d’un carré de craie blanc, vêtue d’une combinaison militaire et munie de bottes rouges de boxeur, s’apprête à mener un combat acharné de femme et de comédienne, prête à entrer sur le ring de la vie, de son cynisme et de ses drames, prête à en découdre avec tous ceux qui s’opposeront à elle, c’est-à-dire, la terre entière, l’humanité, et elle-même. « Je vais tous leur casser la gueule. Je m’en branle de l’humanité. Qu’est-ce qu’elle a fait pour moi ? Je veux bien crever s’ils crèvent tous ! » A commencer par les bruits de la vie, dehors, assourdissants. Les klaxons de ces odieuses voitures. Et la fête, de cette Saint-Sylvestre, chez des voisins dérangeants. Et les hommes ! Mais qu’ils se taisent donc ! « Elle vous emmerde l’emmerdeuse ! »
C’est le coup de gueule d’une femme rompue par la vie. « J’ai été salement frustrée. La vie ne m’a pas fait de cadeaux. » Murielle a perdu la garde de son fils. En même temps, que l’homme qui partageait sa vie. Après être entrée dans une violente dépression. Quand sa fille Sylvie s’en est allée. En se suicidant. En ne laissant qu’un message destiné à son père. Et quand tous les autres, et elle, elle surtout, s’accuse d’être responsable de la mort de sa fille. Bref, elle est entrée dans ce cercle/carré infernal et vicieux, où, délaissée par ses proches, elle peste sur le monde et la vie, et où, indéniablement, elle en a marre.
Ce texte sublime et surprenant de Simone de Beauvoir (1908-1986), publié en 1967, émeut, questionne, dérange, maltraite, bouscule, accuse, et laisse difficilement indifférent. Par les yeux de Murielle, on perçoit à la fois l’universel et l’intimité la plus pure d’une femme.
Julien Cottereau, qui prouve clairement l’étendue de ses possibilités artistiques, dans cette première mise en scène, n’hésite pas à apporter sa « patte » dans le traitement des lumières et dans les ambiances sonores. Les déplacements sont d’une logique bouleversante. Surtout dans les scènes « coups de fil ». La gestuelle de la comédienne est minutieusement chorégraphiée pour donner encore plus de corps dans ses cris. Notamment, un passage savoureux de « J’en ai marre » dirigé par la chorégraphe Mayalen Otondo. Quant à la comédienne, Fane Desrues, elle est juste magnifique et bouleversante. Interprétant sans difficulté une femme de 20 ans son aînée, elle porte ce texte avec fougue, cœur et passion. Troublante de sincérité, elle n’a sans doute pas fini de nous surprendre et de nous émouvoir.
LE MONOLOGUE DE LA FEMME ROMPUE
De Simone de Beauvoir
Mise en scène de Julien COTTEREAU
Interprète Fane DESRUES
Assistanat à la mise en scène Laetitia BIAGGI
Chorégraphie de Mayalen OTONDO
Création sonore de Clément HALLET
Création Lumières de Idalio GUERREIRO
Du 19 mars au 5 juin 2012- Les lundis et mardis à 20h
Théâtre l’Essaïon
6, rue Pierre au Lard
75004 Paris
Métro Hôtel de Ville ou Rambuteau
Réservation : 01 42 78 46