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Critique• “ Maison de repos “ de Emmanuelle Lancien au Théâtre des Déchargeurs

Mai 05, 2012 | 3 commentaires sur Critique• “ Maison de repos “ de Emmanuelle Lancien au Théâtre des Déchargeurs

Critique de Jean-Christophe Carius

Duo de coucous dans le jardin potager

Ces deux-là, Tony et Marion, on sent bien à leurs échanges curieux qu’ils possèdent, chacun à leur façon, une tournure d’esprit quelque peu étrange, un rien décalée. Et on en déduit que c’est sûrement pour ça qu’ils se trouvent pensionnaires, apparemment contre leur gré, de cette maison de repos, cet endroit où l’on cantonne les personnes aux troubles du comportement incompatibles avec les normalités. Cette vacance subie, cette mise hors-jeu des obligations laborieuses et sociales, laisse libre cours à l’esprit fantasque de ces deux “coucous” qui théorisent et expérimentent leurs perceptions originales. Ils observent et explorent avec la candeur lucide et pénétrante de l’enfance, les conditions de leur environnement qui se résument ici à un enclos médicalisé. Mais la sagacité entreprenante qui les caractérise leur fait découvrir des secrets cachés : les souffrances étouffées des personnes responsables qui les encadrent. Emeline, l’assistante et fille de la doctoresse en chef porte en elle une fêlure vive qui la traverse et s’entremêle avec celle de sa mère. La rassurante barrière qui sépare les soignants des soignés saute, et la difficulté d’être des personnes pourtant bien insérées, mais tout de même traumatisées, souvent névrosées, jaillit et étend l’ombre de son voile, tout aussi poignant et parfois plus tragique que les élucubrations étranges des malades mentaux et des illuminés.

Un spectacle stylisé et vivant comme une bande dessinée

Emmanuelle Lancien a écrit et mis en scène cette pièce, conte léger et roboratif sur la condition psychiatrique, en soutien à un de ses proches dont le destin a été jusqu’à présent de fréquenter ces établissements. Elle a créé une histoire dont la partition dialoguée, gestuelle et musicale s’écoule avec entrain au rythme noir et blanc des costumes et des touches du piano d’Allessandro Sgobbio qui en joue caché. Dans une lumière colorée, les personnages accompagnent leurs échanges de postures physiques originales, variées et stylisées. Cette mise en scène graphique des corps donne la sensation surprenante et agréable d’assister sur le plateau à une succession d’images qui ressemblent à la suite des cases d’une bande dessinée. C’est un récit d’expression corporelle inventif, écrit à la plume et à l’encre de chine, qui élargit adroitement le sens des dialogues pétillants que les comédiens Mathieu Gorges, Camille Hazard et Claudia Mosconi échangent avec une justesse remarquable. Le contraste entre ces tableaux visuels aux postures figées, mais toujours changeantes, et les voix parfaitement posées, dont le naturel enchante l’espace et captive l’attention, donne à lire au-delà des sons et à écouter entre les images. Les trois acteurs composent une étoile à trois branches, un trio aux tonalités bien accordées: Tony, à l’esprit vif, charmant et de bonne composition, Marion, à la personnalité rebelle, audacieuse et imaginative et Emeline, distante et sujette à une mélancolie angoissée. C’est une bulle narrative complète, du début à la fin de l’espace et du temps de cette représentation, qui se remplit en permanence du souffle de ses interprètes, et habille notre visage, au propre comme au figuré, d’un sourire égayé.

Maison de Repos
Spectacle écrit et mis en scène par Emmanuelle Lancien
Assistée de Cyrielle Buquet
Avec Camille Hazard, Claudia Mosconi, Mathieu Gorges
Scénographie Isadora Bucciarelli
Musique  Alessandro Sgobbio (piano)

Du 02 au 19 mai 2012-  Du mardi au samedi à 20h
Réservation 08 92 70 12 28

Théâtre Des déchargeurs
3, rue des Déchargeurs, Paris 3ème
Métro Châtelet
www.lesdechargeurs.fr

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