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Correspondance avec la mouette, Texte d’Anton Tchekhov et Lydia Mizinova, mise en scène Nicolas Struve, Théâtre Les Déchargeurs

Fév 06, 2020 | Commentaires fermés sur Correspondance avec la mouette, Texte d’Anton Tchekhov et Lydia Mizinova, mise en scène Nicolas Struve, Théâtre Les Déchargeurs

 

 

© Gabriel Kerbaol

 

 

Article de Garance

Correspondance avec la mouette, C’est « cette vieille histoire éternellement neuve ». Une de ces histoires d’amour comme il n’en existe plus. Une histoire que mes pairs qualifieraient de baroque. Nicolas Struve s’est attelé à traduire ces dix ans de relation épistolaire entre Anton Tchekhov le célèbre écrivain et Lidia Mizinova, dite Lika, grande actrice de son époque. On sent déjà dans le choix des mots, cette syntaxe si particulière, cet humour tranchant et subtil : une relation complexe voir toxique chez les deux amants. Lika essaiera tant bien que mal de séduire perpétuellement Tchekhov, tentant de le rendre jaloux, lui, insensible, finira par « la jeter dans les bras d’autres hommes ». Relation tortueuse sans cesse tiraillée entre le désir et la solitude. Dernière preuve d’amour de l’écrivain, il empruntera les traits de caractère de Lika pour le personnage principal de Nina dans sa pièce La Mouette. Après quoi aucun des deux artistes ne se reverront. Nous suivons, à travers ces lettres, les récits de dix ans de vie qui divergent, se croisent, se mêlent et se dispersent.

Les mots, épicentre, noyaux couronne de cette pièce ne franchissent pas le quatrième mur. Ici il n’y a pas le temps d’attendre que le sens arrive dans le creux de l’oreille, pas le temps non plus de s’adresser au public – malgré les adresses frontales, un filtre s’interpose entre les comédiens et le public, les comédiens finissant par jouer pour eux, entre eux, nous délaissant complètement – les mots, ce phrasé si spécifique à Tchekhov, s’évaporent, se broient dans la bouche des acteurs. À aucun moment reflétée, cette particularité rythmique tombe à l’eau et même pire se transforme en un vrombissement qu’il devient impossible de suivre.

L’adaptation d’un tel schéma est certes difficile, c’est un exercice particulier que de devoir, à travers le choix des morceaux, les coupes faites aux textes, la mise en scène doit recréer un fil de pensée non pas pour un personnage mais deux et qui plus est s’entremêlent, cependant ici il ne s’agit que d’une retranscription presque documentaire et maladroite des lettres. Certes il n’y a pas besoin de grandiloquence ou de fioriture mais un choix, une trame artistique aurait rehaussé cette recherche de concret et de sincérité des rapports.

Nous nous retrouvons donc dans ces limbes. Ou sommes-nous d’ailleurs ? Les lieux et la chronologie sont fortement figurés par des projections vidéo. Les comédiens eux se doivent d’utiliser un pinceau et de l’eau sur les murs pour recontextualiser les scénettes, petits rituels qui s’estompent à la manière de l’eau qui, s’effaçant, symbolisent l’instabilité et l’aspect éphémère des relations. Merci pour l’image quant à la subtilité nous reviendrons.

La scénographie épurée, pourquoi pas me direz-vous. Des chaises jonchent la salle, cadavres des futurs déplacements bien trop précis et sages à la lumière de cette mise en scène, des bouts de textes en fond qui ne seront pas utilisés. Une des partitions quant à elle aura l’honneur de se voir éparpillée sur la scène, par la suite écrasée, malmenée par les déplacements des acteurs. Là c’est le choix du metteur en scène, battre les mots au profit du sens, des corps, de cette confrontation charnelle à l’image de la passion des amants. Nous avons donc le droit à deux petites chorégraphies de jeux de chaises, du chat et de la souris, de Tchekhov et de Lika maladroitement exécuté.

L’erreur aura été de se précipiter. Mettre en bouche les mots des morts n’est pas si évident et simple qu’il n’y paraît. L’écho post mortem se doit de prendre du temps pour parvenir jusqu’à nous, s’agissant de Tchekhov il est d’autant plus vrai car la particularité avec laquelle l’auteur s’adresse à l’actrice est d’un autre temps, une langue comme étrangère qu’il faut dompter pour nos pauvres oreilles qui n’ont pas l’habitude.

 

 

 © Gabriel Kerbaol

 

 

Correspondance avec la mouette, écrit par Anton Tchekhov et Lydia Mizinova

Mise en scène Nicolas Struve

Avec David Gouhier et Stéphanie Schwatzbrod

Décors Georges Vafias

Costumes Georges Vafias

Traduction Nicolas Struve

Adaptation Nicolas Struve

Intervenants Sophie Mayer

Lumières Antoine Duris

 

 

Du 4 au 29 février 2020

Durée 1 h 10

 

 

Théâtre Les Déchargeurs

3, rue des Déchargeurs

RDC Fond Cour

75001 Paris

 

Réservation 01 42 36 00 50

www.lesdechargeurs.fr

 

 

 

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