© Nicolas Boudier
ƒ article de Paul Vermersch
C’est une vraie expérience plastique que d’entrer dans le dispositif déployé par Joris Mathieu. On prend place dans cette scénographie futuriste, l’atmosphère est cyborg, portée par une création sonore qui travaille des textures synthétiques et informatiques. Le public s’installe tout autour d’un immense tube vert néon, qui, en se relevant, va dévoiler sur le plateau une tournette déjà en marche, qui ne s’arrêtera de tourner qu’à la fin du spectacle. C’est autour de ce principe de dévoilement que l’on avance dans cette forme, cet immense tube (descendant et faisant apparaître à chaque scène de nouveau éléments de décors, du costume) venant rappeler le vaisseau spatial. On a des images de Matrix, de Code Lyoko, on a une sensation d’hyper-technologie, des néons qui cerclent le plateau, des costumes futuristes excentriques, tous les signes apportés par le plateau viennent converger à cet endroit de la science-fiction, l’enjeu du spectacle semble avant tout de convoquer cet univers, par la sensation notamment.
Et cet univers, que la fiction et le texte continuent d’alimenter, c’est donc cette planète, Cornucopia, lieu d’abondance, mais relative dans la mesure où tout ce qui est consommé est strictement égal à ce qui est produit. La vie aussi est régulée selon un principe similaire, chaque « arrivée » est accompagnée d’un « départ », et c’est le point de départ de la fable. Azel, arrivant.e, se prépare au rituel qui va marquer définitivement sa naissance sur la planète et du même coup le départ d’un autre citoyen.
C’est donc une réflexion concernant la finitude de nos ressources qui nous est proposée dans cette forme, une réflexion également prise à l’endroit du politique : les individus doivent suivre les règles très contraignantes de la sobriété, accepter ce projet social sans jamais le remettre en question pour qu’il puisse pleinement opérer. On entend aussi un point de vue sur l’hétéronormativité de nos sociétés contemporaines, en ce que cette planète serait un lieu particulièrement ouvert, les individus y choisissent leur nom, leur genre, sans que pour autant on ne retrouve cette dimension plus politique nulle part dans les scènes. Mais il est évoqué à plusieurs reprises que Cornucopia est un lieu particulièrement inclusif et les figures qui apparaissent au plateau sont androgynes. En écho à un faux Trigger Warning proposé en début de représentation, on a du mal à croire à cet engagement un peu plaqué, et on se demande même s’il ne s’agit pas d’une critique, d’une satire, à cet endroit le projet reste flou.
Si on se laisse volontiers porter par ce dispositif très immersif, finalement, et c’est peut-être la limite du spectacle, on ne fera pas grand-chose d’autre que d’être plongé dans cet univers, dans cette planète, par de nombreux effets (projections, flashs de lumière pour signifier les passages d’un moment à l’autre, textures sonores et visuelles). La dimension dystopique, les questionnements plus existentiels qui sont effleurés par les nécessités qui régissent cette planète sont finalement écartés dans le traitement des scènes qui se déroulent le long d’un arc narratif extrêmement descriptif : Azel suit l’homme qui est chassé par son arrivée et découvre que les Pierres d’Oxygène, minéraux censés détenir le secret de l’abondance éternelle, ne pourraient être en fin de compte que de simples cailloux inertes. On voit bien dans ce personnage une posture dissidente, qui enfreint les lois de la cité pour s’aventurer là où « ceux qui partent » sont relégués, mais finalement les enjeux de cette dissidence ne se concrétisent pas et la forme peine un peu à s’ouvrir sur autre chose que son propre univers, dont on finit par voir assez rapidement les rouages.
© Nicolas Boudier
Cornucopia, D’autres mondes possibles (épisode 2)
Écrit et mis en scène par Joris Mathieu
Mise en espace, scénographie et création lumière : Nicolas Boudier
Avec : Philippe Chareyron, Vincent Hermano, Marion Talotti
Du 8 au 19 Octobre 2024
Durée : 1h10
Théâtre National Populaire
8 place Lazare-Goujon
69627 Villeurbanne
www.tnp-villeurbanne.com
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