© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒ article de Sylvie Boursier
« Sans la créativité de l’expression individuelle, dit John Cassavetes, nous sommes livrés à un médium de fantaisies insignifiantes qui n’apporte rien sinon une touche de distraction dans un monde déjà distrait ». La story telling télévisuelle fabrique de l’oubli, selon Godard, et le cinéma, de la mémoire, même combat de part et d’autre de l’Atlantique. Cassavetes fut adulé après sa mort, jalousé, détesté de son vivant, son arrogance et son sens de la provocation n’ont pas arrangé la réception de ses films dans les médias.
Contre capte le hors-champ du couple « GenaJohn », avec leur famille de cinéma, Peter Falk, Burt Lan, Dick Cavett, présentateur du célèbre The Dick Cavett Schow et leurs ennemis préférés, en particulier la célèbre critique Pauline Kael.
Le plateau du Vieux-Colombier est la maison du couple dont le coin garage devient salle de montage et la cuisine plateau de tournage ou studio télé. Constance Meyer et Sébastien Pouderoux nous épargnent les inévitables perches et caméras à vue qui doublent le jeu des acteurs. L’incursion du cinéma, très réussie, se fait en arrière-plan lors d’interrogatoires relatifs à une plainte fictive contre le cinéaste. La caméra caresse les visages, les regards, les moues sur des plans magnifiques très « Cassavetes » ou l’équipe de la Comédie-Française excelle. Les expressions muettes révèlent les failles, multiplie les télescopages émotionnels et les silences d’un cinéma qui prenait son temps sans craindre l’ennui du spectateur. Une mention spéciale à Marina Hands et Dominique Blanc.
Marina Hands livre une interprétation tout en finesse de Gena Rowlands notamment dans la célèbre scène des spaghettis d’Une femme sous influence. Là où Gena Rowlands, dans le rôle de Mabel, s’abandonnait à des mimiques désordonnées exhibitionnistes, la comédienne est juste de bout en bout avec des contre-plongées gestuelles, des coups de freins, tout est dans les ruptures, les nuances et les points de suspension.
Quant à Dominique Blanc, elle est épatante en Pauline Kael qui détestait ces bobos picoleurs dont les scènes hystériques n’avaient, selon elle, aucune structure scénaristique. Ses affrontements avec ses collègues ont la mauvaise foi, la verdeur et la passion des joutes homériques d’un Jean Louis Bory et Georges Charansol. Nicolas Chupin a la vitalité d’un Peter Falk avec ou sans inspecteur Colombo, d’une confiance totale en son ami réalisateur difficile à suivre parfois. Sébastien Pouderoux a le panache désespéré d’un créateur qui n’a rien lâché sa vie durant.
L’enchaînement répétitif des tableaux et la baisse par moment d’intensité importent peu finalement. Contre est un « théâtre sous influence » qui, loin des légendes, sur une prétendue improvisation, montre l’exigence stylistique du cinéaste, multipliant les montages jusqu’à quatre pour Faces. Voilà un huis clos au verbe alcoolisé, bouleversant, sur des artistes pour lesquels écrire des films, régler des mouvements de caméra ou se tenir debout sur un plateau, c’est faire de son corps, de son sang, de sa voix et de ses sentiments, le matériau premier de son art. D’où vient ce courage ? De leur couple, peut-être si uni dans la différence.
© Christophe Raynaud de Lage
Contre, écrit et mis en scène par Constance Meyer et Sébastien Pouderoux
Dramaturgie : Agathe Peyrard
Scénographie : Alwyne de Dardel
Vidéo : Gabriele Smiriglia
Son : Clément Vallon
Costumes : Isabelle Pannetier
Avec : Sébastien Pouderoux, Dominique Blanc, Marina Hands, Nicolas Chupin, Jordan Rezgui, les comédiennes de l’académie de la Comédie-Française Rachelle Collignon et Blanche Sottou, et Antoine Prud’homme de la Boussinière, Juliette Besançon
Durée : 2h10
Jusqu’au 3 novembre 2024
Le mardi à 19h, du mercredi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h
Théâtre du Vieux-Colombier – Comédie-Française
21, rue du Vieux-Colombier
75006 Paris
Réservation : 01 44 58 15 15
www.comedie-francaise.fr
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