© Daniel Seiffert

ƒƒƒ article de Théodore Lacour

Dans la salle en forme d’amphithéâtre, on est immédiatement confronté à un champ d’objets pêle-mêle, jetés là comme témoins d’une humanité détruite et dont on ne sait pas exactement ce qu’ils sont et d’où ils viennent. Et c’est bien à cela que nous confronte le travail magistral de Milo Rau : un questionnement permanent entre réalité et fiction, entre récit autobiographique et écriture théâtrale, entre un personnage de théâtre et un individu qui témoigne de sa propre histoire, entre le mythe (en l’occurrence celui d’Œdipe) et une histoire contemporaine. Ici l’action convoque le récit d’une jeune femme partie dans une ONG et qui se retrouve au cœur des massacres successifs perpétrés au Rwanda dans les années 1990.

Le dispositif est simple : deux femmes sur scène, une assise derrière une table qui s’apparente à une table de régie et l’autre qui est debout au pupitre. Des caméras les filment et leur image est projetée sur un seul écran central. Aucune image ne sera projetée – nous sommes dans un théâtre documentaire sans documents visuels ; seuls leurs visages changent au gré des récits – des visages comme autant d’expressions de l’humanité qui nous confronte.

L’écriture du récit porté par cette femme/personnage habillée d’une robe d’un bleu onusien est d’une cruelle intelligence et d’une grande finesse tout comme celle (Ursina Lardi, de la troupe de la Schaubühne de Berlin) qui le porte devant nous, laissant ses mots et ses récits la traverser autant qu’ils nous clouent à notre siège.

Tout le travail propose – et c’est là, sa grande réussite – de construire et d’appuyer le propos tout autant par le fond, grâce aux multiples niveaux de prises de paroles et de l’écriture que par la forme, et grâce au dispositif qui joue autant sur la mise à distance que sur la grande proximité tels des gros plans cinématographiques.

La force de la proposition est de nous propulser et de nous faire tournoyer au cœur de la complexité des relations, des interconnexions, des renversements dans les situations extrêmes du génocide, tant dans notre regard d’occidental face au peuple massacré que dans celui de public à l’écoute des acteurs/raconteurs agissants sur ce champs de détritus, non seulement par la pensée mais par le ressenti et les interrogations qui nous traversent.

C’est un questionnement constant sur la position du narrateur/acteur, sur la véracité des propos qui sous-tendent nos plongées profondes dans les eaux troubles de cette histoire contemporaine. Le tout porté par un questionnement sur l’objet même qui se fabrique devant nous, sur le théâtre et l’investissement total de l’acteur face au public.

Magistral ! à tel point qu’on oublie vite le choix d’une séquence « un peu lourde » et qui nous paraît inutile parce que déjà présente dans ce récit final (porté par Consolate Sipérius) qui lui est tout à fait juste et sans concessions. A ne pas rater surtout si vous aimez être confronté !

Compassion. L’histoire de la mitraillette, conception, texte et mise en scène de Milo Rau

Avec Ursina Lardi et Consolate Sipérius

Scénographie et costumes  Anton Lukas
Vidéo et son  Marc Stephan
Dramaturgie  Florian Borchmeye
Collaboration dramaturgie  Mirjam Knapp, Stefan Bläske
Lumières  Erich Schneider

Du 7 au 11 novembre à 20h00
Durée : 1h45 – Spectacle en allemand surtitré en français

Grande Halle de La Villette
221 avenue Jean Jaurès
75019 Paris

Réservations :
www.lavillette.com – 01 40 03 75 75

Festival d’Automne à Paris
www.festival-automne.com – 01 53 45 17 17

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