À l'affiche, Agenda, Critiques // Coloris Vitalis, texte de Catherine Lefeuvre, mise en scène de Catherine Lefeuvre et Jean Lambert-wild, au Théâtre de Belleville

Coloris Vitalis, texte de Catherine Lefeuvre, mise en scène de Catherine Lefeuvre et Jean Lambert-wild, au Théâtre de Belleville

Jan 09, 2023 | Commentaires fermés sur Coloris Vitalis, texte de Catherine Lefeuvre, mise en scène de Catherine Lefeuvre et Jean Lambert-wild, au Théâtre de Belleville

 

 

© Tristan Jeanne-Valès

 

fff article de Denis sanglard

 

« Je me bats pour un monde poétique et bigarré », cri de guerre et de résistance désespéré d’un clown blanc qui se meurt. Car oui, depuis Gianni Esposito, on le sait les clowns aussi se meurent. Gramblanc nous revient, après avoir interprété Richard III, Don Juan, conté la chanson de Roland, prêté à ses personnages son visage blanchi, ses oreilles pourpres et sa verve tragique. Coloris Vitalis, c’est une entrée clownesque signée Catherine Lefeuvre, texte d’une grande poésie chromatique et portrait d’un clown blanc en majesté, fait d’autorité et d’élégance, d’emportements gazeux aussi, de lucidité inquiète sur un monde dévitalisé, maître d’une langue colorée performative et poétique. Mais c’est exceptionnellement seul ici que le clown blanc entre sur la piste. C’est dans le public sans doute qu’il faut trouver l’auguste, en chaque spectateur, partenaire impromptu qu’interpelle goguenard et désespéré Gramblanc au long de son dernier tour de piste. Pour l’heure, rétif à entrer en scène, Gramblanc est malade qui attend son heure, peut-être déjà passée. Prêt à exploser, gargouillant à en péter, de tant de couleur retenue, à en éclabousser ce monde devenu désespérément monochrome. Dans son éternel pyjama rayé de blanc et bleu, celui des rêveurs éveillés que l’on dit poètes ou des bagnards de la réalité, au choix, Gramblanc se livre à nous, se met à nu, ressasse ses obsessions de la couleur, cette chromo pathologie qui le tue et sa langue poétique aujourd’hui malade, impuissante désormais et qu’on dit bien pendue pourtant. A nous qui barbouillons salement la réalité, misérables péteux, augustes falots et pâlots, Gramblanc oppose son esprit chevaleresque, son code de l’honneur et sa vision hautement chromatique d’un monde qui fut haut en couleur mais qui se décolore, se défraîchit, dans « une ambiance sinistre à démaquiller un clown. » Et s’il se meurt c’est bien de tant de rétention, de vitalité bouillonnante et diaprées ravalée, d’impuissance, tenaillé par la mélancolie noire, blanc de rage sous les trois couches de blanc de son masque blafard.

C’est un texte écrit sur mesure pour Gramblanc, l’avatar de Jean Lambert-wild. Une langue comme tissée, tramée serrée de mots, taillée, ouvragée et brodée de mille nuances chromatiques par Catherine Lefeuvre pour habiller ce clown blanc, qui se revêt du langage et de sa poésie pour affronter la rigueur et les frimas du monde. Le clown blanc de Jean Lambert-wild est un être tragique, comme tous les clowns, mais sa modernité à lui est qu’il s’empare de la langue, de sa puissance incantatoire et théâtrale, vitale, pour dire le monde comme il va, c’est-à-dire pas très fort. Coloris Vitalis le voit à vif, désemparée et bravache, cloué sur cette piste qu’entoure le chaos propre aux augustes. Par cette entrée clownesque, cette entrée en piste étrangement dramatique, soliloque et manifeste tout à la fois, Jean Lambert-wild affirme et confirme la puissance subversive et poétique de Gramblanc, ce qui revient au même, cette capacité à métaboliser le texte, lui donner corps, et son jeu nuancé mâtinée d’improvisation, où l’ironie le dispute à la révérence. Cette parole singulière qui le dessine dans ses pleins et déliés, dressant de son personnage et de sa fonction de clown blanc un portrait en creux, il puise en elle les ressorts de la représentation, de son dernier tour de piste avant le black-out à venir. C’est elle qui le propulse en scène et lui donne son élan et sa verticalité, sa vitalité. Pourtant Catherine Lefeuvre et Jean Lambert-wild osent l’impensable, tuer ce bavard impénitent. Acte radical certes mais les poètes meurent parfois ainsi d’avoir résisté, fusillés au champ d’honneur, cloués aux poteaux de couleur par des augustes, tyrans de pacotille. Le clown est mort, vive le clown.

 

© Tristan Jeanne-Valès

 

Coloris Vitalis de Catherine Lefeuvre

Mise en scène Catherine Lefeuvre et Jean Lambert-wild

Avec Jean Lambert-wild, Aimée Lambert-wild

Lumières : Alycia Karsenti

Composition : Tania Kawa

Régie son et lumières : Maël Baudet

Costumes : Annick Serret-Amirat

Signature de Gramblanc : Jean Lambert-wild

Maquilleuse : Christine Ducouret

 

Du 7 au 31 janvier 2023

Lundi et mardi à 19h15, Samedi à 17h, dimanche à 17h30

 

Théâtre de Belleville

16 passage Piver

75011 Paris

 

Réservations : 01 48 06 72 34

theatredebellleville.com

Be Sociable, Share!

comment closed