Critique de Camille Hazard –
Dans le secret…
Il est vraiment difficile de parler de la pièce Ciels sans en dévoiler les secrets de l’histoire et de la mise en scène… Ce qui serait une grande erreur pour les futurs spectateurs !
Soyons donc attentifs à rester sur le fil du « dévoilable » !
Ciels est la dernière pièce du quatuor avec Littoral, Incendies et Forêts, écrit par Wajdi Mouawad ; quatuor qu’il surnomme Le Sang des Promesses. À première vue, la pièce n’a aucun rapport avec les précédentes, tant sur le traitement des personnages, que sur l’utilisation de l’espace et du temps…Et pourtant, c’en est une parfaite conclusion. Dans Littoral, Incendies et Forêts, des personnages, en quête d’identités, et assoiffés de vérité sur leurs origines, parcourent des pays et des époques, en bouleversant mères et pères. Dans Ciels, cinq personnages, enfermés dans un lieu tenu secret, tentent de déjouer un attentat prochain. Nous passons donc de plusieurs continents à un lieu clos et de plusieurs générations passées à un événement futur. Et pourtant, cet épilogue tombe sous le sens :toutes les zones d’ombre, de doutes, de sentiments intérieurs, d’inconscient, révèlent leurs existences et leurs sens, sous la plume et la mise en scène magistrales de Wajdi Mouawad.
Ici, deux vérités éclatent et s’affrontent, sous l’œil égaré des personnages qui, cette fois, ne peuvent contrôler leur destin : la vérité de l’autorité politique, et la vérité poétique. Ici, les personnages ne luttent pas contre un passé, un sentiment, un manque, ils luttent contre une masse, une entité qui a enflé au fil des décennies et qui réclame sa vengeance…Des jeunes gens préparent quelque chose de terrible dans plusieurs capitales, choisies non sans raison, espérant ainsi venger les générations passées de fils sacrifiés.
Voilà une des questions posées dans la pièce :doit-on approuver toutes les vérités poétiques avec le prix qu’il en coûte ? Ne sont elles pas trop idéalistes, et même parfois dangereuses ? Le metteur en scène a utilisé toutes les expressions de la représentation. L’histoire s’appuie d’ailleurs sur l’analyse du tableau de L’annonciation du Tintoret en nous faisant découvrir tout son esprit païen, implicite dans la scène. Mouawad souhaite nous faire comprendre que derrière la poésie et le Beau, peut se cacher une violence extrême. Mais peut-on accepter cette violence dans la vie ?
Une expérience totale !
En allant voir Ciels, le spectateur vit une expérience dans sa chair ; toute la mise en scène et la scénographie ont été pensées pour immerger le public dans ce que vivent les personnages. On se retrouve pris à témoin et acteur de la pièce, face à face avec notre conscience. Les bruitages, l’utilisation de vidéos, les images d’archives, l’étalage d’ordinateurs (…) créent une atmosphère pesante qui vient s’ajouter à un climat déjà bien sombre !
L’énergie et la justesse des acteurs, tout entier dans leur incarnation, participent à l’immersion totale dans l’intrigue. Contrairement aux pièces précédentes, les protagonistes évoluent dans notre époque. Seul, Clément Szymanowski, interprété par l’excellent Stanislas Nordey, échappe au temps de l’Histoire comme s’il avait traversé toutes les pièces du quatuor et qu’il revenait une dernière fois, afin de confronter les deux vérités évoquées ci-dessus et représenter toutes les générations.
Wajdi Mouawad nous secoue, nous ébranle en nous confrontant à notre conscience sur le siècle que nous venons de traverser ; en nous donnant la possibilité de réfléchir sur notre implication dans des évènements monstrueux qui nous dépassent, Mouawad nous met en garde sur les décennies et les siècles à venir.
Ciels
Texte et mise en scène : Wajdi Mouawad
Avec : John Arnold, Charlie Eliot Johns, Georges Bigot, Blaise Centier, Valérie Blanchon, Dolorosa Haché, Olivier Constant, Vincent Chef-Chef, Stanislas Nordey, Clément Szymanowsky
Et en vidéo : Gabriel Arcand, Valéry Masson, Victor Desjardin, Victor Eliot John
Dramaturgie : Charlotte Farcet
Scénographie : Emmanuel Clolus
Lumières : Isabelle Larivière
Musique originale : Michel F. Côté
Son : Michel Maurer
Création vidéo : Adrien Mondot
Réalisation vidéo : Dominique Daviet
Collaboration artistique : François Ismert et Alain RoyDu 11 mars au 10 avril 2010
Odéon / Théâtre de l’Europe – Ateliers Berthiers
Angle de la rue Suarès et du Bd Berthiers, 75 017 Paris
www.theatre-odeon.fr