À l'affiche, Critiques // « Chatting with Henri Matisse » mise en scène d’Éric Vignier au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris

« Chatting with Henri Matisse » mise en scène d’Éric Vignier au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris

Déc 18, 2014 | Commentaires fermés sur « Chatting with Henri Matisse » mise en scène d’Éric Vignier au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris

article d’Anna Grahm

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Dans la salle Matisse du musée d’art moderne, les corps dansent. Langoureux. Majestueux. S’étalent de tout leur long sur le mur et jusqu’en haut des immenses plafonds blancs. Avant que la lecture commence, le metteur en scène Éric Vignier nous explique brièvement pourquoi les entretiens de Matisse – publiés en 2013 – ont mis tant de temps à nous parvenir : la famille trouvait que cela donnait une image du peintre trop relâchée.

S’attablent à chaque bout de la grande table, l’artiste, ici interprété par Jean-Michel Ribes et le critique d’art Pierre Courthion, incarné par Agathe Bonitzer. L’ombre projetée derrière l’homme qui vient de prendre place va aller effleurer les corps qui dansent. Et s’il se remet tout juste d’une opération, et se dit affaiblit, son esprit lui, reste intact. Et c’est sans affectation que commence la traversée de ces neufs voyages.

Le premier. Celui de la formation, l’évocation de ses maîtres, qui lui ont donné l’inquiétude. Cette soif de chercher le mouvement. Cette envie de croquer la course des cyclistes. Il évoque son saisissement devant Goya. L’influence de Cézanne. Sa première exposition en 1904.

Entre deux discussions, l’intervieweuse se déplace, devient modèle, s’offre au regard. Lui ne bougera pas, comme happé par sa réflexion, tout à son questionnement. Il avoue qu’il aurait voulu être collectionneur, et qu’il possède une collection d’oiseaux. Parle tout le temps de son travail, de la sculpture comme une ouverture des possibilités. S’arrête sur Renoir. Sur ce que leurs échanges lui ont appris. Revient sur la combinaison des forces dans la construction d’un tableau. Insiste sur l’importance de la curiosité : grâce à elle, aucun artiste ne peut s’épuiser.

Est-ce l’intimité des voix dans les micros, la lumière qui change de couleur, les envolées du piano ou les corps qui dansent qui nous transportent ailleurs ? Est-ce l’évocation de ces nombreux voyages, Tahiti, l’Algérie, le Maroc, l’Italie qui nous perd en route ?

Les choses me frappent dans la solitude. Oui c’est cela, nous nous perdons dans la dynamique de l’espace, nous nous retrouvons enrôlés dans la musicalité de l’œuvre, seuls avec nous-mêmes, comme lui, tâtonnant, à l’instant de la recherche. Comme si cette mise en tension nous imposait de puiser dans notre inertie pour nous décoller d’elle, pour nous envoler au plus près de ces corps qui dansent.

Puis reprenant le fil, tout chargés d’énergie, plein de l’ivresse des lignes que l’on vient de contempler, nous revenons à la lecture de l’homme, à son immobilité chuchotée.

Nous sommes en 41 quand il lâche sombrement : il n’y a plus de tendresse en France. Rien d’autre sur cette époque qu’il traverse. Mais ajoute-t-il plus loin, pour mieux l’écarter, le travail nécessite d’oublier.

Quand la gracile jeune fille lui demande s’il a un peu de recul sur ce qu’il fait, de la lucidité, de l’objectivité, il répond un laconique : difficile. On est dans tout ce qu’on fait.

On a dit que ses jeunes filles ressemblaient à celles de Proust, que Matisse rendait fou. Lui ne peut ou ne veut traduire que ce qu’il sent. Ne prend pas la lumière de la nature mais la crée. Confirme son excitation au combat. Réaffirme, avant de s’en aller, que l’on n’est jamais assez courageux. Cette image relâchée ne nous a pas attendri mais pendant une petite heure nous a soulevé.

Chatting with Henri Matisse
The Lost 1941 interview
D’après les conversations menées par Pierre Courthion avec Henri Matisse
Lecture mise en scène par Éric Vignier
Adaptation Thomas Pondevie
Lumière Kelig Le Bars
Assistée de Jean Huleu
Avec Agathe Bonitzer et Jean-Michel Ribes

Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
Salle Matisse
Le 17, 18, 19 décembre 2014 à 20 h

11, avenue du Président Wilson – 75116 Paris
01 53 67 40 00
réservations : 02 97 83 01 01

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