À l'affiche, Critiques // Charlotte, de David Foenkinos, mise en scène et jeu de Laurène Boulitrop, La Manufacture des Abbesses

Charlotte, de David Foenkinos, mise en scène et jeu de Laurène Boulitrop, La Manufacture des Abbesses

Mai 10, 2019 | Commentaires fermés sur Charlotte, de David Foenkinos, mise en scène et jeu de Laurène Boulitrop, La Manufacture des Abbesses

 

© DR

 

Article de Léa Suzanne

Charlotte Salomon, artiste à la destinée tragique, sacrifiée à la fois par son histoire personnelle, jalonnée de suicides, et par la Hache de la grande Histoire (elle est morte à Auschwitz, enceinte) a occupé les derniers temps de sa vie à produire son grand œuvre, intitulé Vie ? ou Théâtre ? Théâtre que son existence, où la jeune fille n’entend que des mensonges quant à la mort de sa mère, et de toute sa parentèle, théâtre que cette Allemagne des années 1930 où l’artiste juive devrait vivre de masques, singer la bonne Aryenne, pour continuer à créer, ou tout simplement vivre. On voit ce qu’il y a d’attirant à porter la vie de la jeune femme sur scène : une histoire implacable, devant laquelle on ne peut que rester coi, sidéré par la violence ordinaire d’une vie massacrée ; l’œuvre d’art comme planche de salut, et legs laissé à la postérité ; la métaphore de la comédie du monde – une « vie » idéalement illustrée au « théâtre », donc.

Plus tôt dans l’année, Charlotte avait déjà été incarnée au Théâtre du Rond-Point. Le dispositif était alors sophistiqué, la Charlotte en scène étant la metteuse en scène de sa propre histoire. La « vraie » metteuse en scène avait pris le parti de déterritorialiser le propos, insérant nombre d’anachronismes. On voyait aussi, au Rond-Point, les toiles de Charlotte Salomon, en fond de scène, ce qui conférait une vraie profondeur, finalement assez émouvante, à la pièce. Si, comme au Rond-Point, la déportation de Charlotte est laissée hors-scène, les choix de Laurène Boulitrop sont différents. La relation avec Alfred Wolfsohn est ici abondamment évoquée, laissant l’artiste de côté, au profit de la femme amoureuse. D’un point de vue artistique, la comédienne et metteuse en scène est seule en scène. Le seul décor est une chaise, et un voile blanc qui masque une servante. Une voix off, à l’accent curieux, raconte la vie de Charlotte ; la comédienne en scène reprend la parole de temps à autre. Une jolie musique, d’abord faite de vent et de bruits de vagues (allusion au dernier exil de Charlotte ?) scande également la pièce.

D’où vient l’impression de malaise et de gêne ? Du texte peut-être, dont la faiblesse a été mainte fois soulignée par ailleurs (on espère que la langue de la comédienne a juste fourché ce soir-là sur le « s’empire », ou « leur incite »). Du jeu de la comédienne peut-être : sans doute censé être fébrile et habité, il donne le plus souvent l’impression d’être faux. La diction maniérée, et en même temps erronée (comment peut-on monter une pièce sur une Allemande et ne pas se renseigner sur la prononciation de « Lied » ou « Wannsee » ?) dessert un propos dont le tragique se tiendrait seul. Les acmés de passion, déjà poussivement rendus par le texte de Foenkinos, et les ruptures de ton de la comédienne, dressée sur ses pieds, la main tremblante, sont noyés dans des effets d’éclairage qui laissent perplexe.

L’intention du spectacle est évidemment éminemment louable, d’autant qu’il est conçu comme le pan d’un diptyque qui met en avant une autre femme, désireuse de devenir pilote de chasse. Il n’en demeure pas moins qu’on a la terrible impression d’assister à un spectacle qui nous est resté, de bout en bout, étranger. Tout spectacle qui parle d’une femme extraordinaire ne l’est pas forcément, en soi.

 

Charlotte, de David Foenkinos

Mise en scène et avec  Laurène Boulitrop

Musique : Thoj

 

Du 09 mai au 29 juin 2019

Les jeudis et samedis à 19h.

Relâche exceptionnelle le 8 juin 2019

 

Durée 1 h 15

 

 

La Manufacture des Abbesses
7 rue Véron

75018 Paris

 

Réservation au 01 42 33 42 03

www.manufacturedesabbesses.com

 

 

 

 

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