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Critique • « Chantons dans le placard », une comédie de Michel Heim au Théâtre des Variétés

Oct 06, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « Chantons dans le placard », une comédie de Michel Heim au Théâtre des Variétés

Critique de Denis Sanglard

Chantons dans le placard, chansons à tiroirs.

Michel Heim celui qui durant dix ans dirigea « Les Caramels Fous », compagnie complètement folle qui parodie avec talent et un humour ravageur et queer les comédies musicales dont la dernière en date Madame Mouchabeurre revisitait, en Bretagne, Madame Butterfly de Puccini, Michel Heim donc parcoure un répertoire bien singulier et unique. Mais loin d’aligner les chansons les unes derrière les autres, c’est tout un pan d’une culture protéiforme qu’il dévoile. Une culture militante homosexuelle que la génération actuelle, se reposant sur les acquis des dernières luttes, d’Arcadie au PHAR en passant même par les Gazolines, semble tout simplement vouloir ignorer. Un droit à l’indifférence qui oublie que cette indifférence fut d’abord une affirmation de sa différence. Non sans risque. La chanson est justement le reflet de cette évolution. Et de toute l’ambiguïté des revendications actuelles. Pour ce faire et même si la mise en scène ne casse pas trois pattes à un canard, Michel Heim réunit sur le plateau trois générations. La première, celle du placard, la seconde la militante et la dernière, la plus individualiste. Mais n’attendez pas une thèse…

© Amaury Grisel

Au prétexte d’une comédie musicale gay en préparation un jeune chanteur à la gueule échappée d’un boys band (Vincent Escure) débarque chez « la Mère Michel » (Michel Heim), travelo emperruqué célèbre et en perte de vitesse, pour quelques conseils. Ce maître incontesté de la culture interlope, accompagné de son pianiste (Alvaro Lombard), se lance dans un tour d’horizon de la chanson gay. C’est drôle, c’est vachard, les répliques fusent et font mouche, la langue est bien pendue et acérée. Et le constat est surtout sans appel. Pour ce qui est des chansons actuelles, zéro pointé. Elle sont, hélas, politiquement correctes. Chansons « homo-humanitaires » assène la Mère Michel. Dont la première, historique, « Comme ils disent » de Charles Aznavour, a laissé des traces mémorables, certes, mais l’image donnée des pédés n’était pas des plus folichonnes… Il y a bien quelques perles dans ce brouet, « Xavier » de l’impeccable Anne Sylvestre ou le toujours militant Jean Guidoni (« Viril ») et même Dalida, iconique, avec ce titre surprenant « Depuis qu’il vient chez nous ». Sans oublier « Le condamné à mort » de Jean Genêt mis en musique par Hélène Martin ou l’on atteint un sommet rarement atteint. Mais pour l’ensemble, les années 80 ne brillent guère par leur audace, leur écriture ou leur humour. A l’exception bien notable des Pédalos (« Nous les tantes ») où l’impertinence subversive d’Alain Marcel secoue la bien pensance d’une époque ou la norme, déjà, atteint le milieu homosexuel déchiré par le sida. Sujet qui n’est pas évoqué ici et qui donna cependant un second souffle dans le militantisme radical. Qui plus est, il y a comme un acte de contrition. Bé oui, la plupart de ces chansons ont été écrites ou chantées par des hétéros. Enfin, qui affirmaient l‘être et ne pas en être.

© Amaury Grisel

Une culture gay friendly à qui sans doute manquait certains codes. Ce n’est pas faire de la discrimination à l’envers que de le remarquer. Si dans ces années le placard était grand ouvert, l’image de l’homo elle restait toujours fermée, la vision hétéronormée. Michel Heim s’en amuse et balaie gaiement devant son placard. Parce qu’en comparaison les années trente n’étaient pas si folles. Ou pas si folles leurs auteurs. En butte à la censure et même à l’autocensure les textes s’avèrent d’une grande subtilité et surtout d’un humour ravageur. On n’y va pas avec le dos de la tapette dans la subversion. Pour « La tapette  en bois », pour « Le Tsoin-Tsoin » il fallait du culot. Et une bonne dose d’autodérision. Politesse du désespoir peut être. Mais pour Suzy Solidor, première garçonne revendiquée, chanter de sa voix profonde dans son cabaret « Ouvre » valait bien plus qu’un discours militant. On découvre aussi un Charles Trenet farceur. Son « (L)’abbé à l’harmonium » vaut son pesant de cacahouètes et un Guy Béart facétieux (« Le monsieur et le jeune homme »). On file ainsi de petits bijoux jusqu’ aux années soixante dix. Et pour qui n’avait pas compris « Les pingouins » de Botton chanté par Juliette Gréco, celui là même qui écrivit pour l’impériale Régine « La grande Zoa »… Michel Heim fait se caramboler les chansons et les styles et les comparaisons qui s’opèrent naturellement montrent combien cette évolution du répertoire est sujet au hoquet de l’histoire et particulièrement de l’histoire homosexuelle. D’ailleurs c’est bien simple après les années 80, à l’exception de Renaud et de son « Petit Pédé » à faire pleurer dans les backrooms, le sujet homosexuel semble s’être évaporé de la chanson des années deux mille. Mais Chantons dans le Placard encore une fois n’est pas un pensum. C’est un spectacle drôle non sans gravité parfois. C’est formidablement chanté et interprété. Michel Heim et ses deux comparses nous offrent un très beau moment facétieux ou entre deux éclats de rire pointe un profond engagement, un regard sans concession et une auto dérision salutaire. Un spectacle couillu!..

Chantons dans le placard
Un siècle de chansons gay

De : Michel Heim
Avec : Vincent Escure, Michel Heim, Alvaro Lombard
Mise en scène : Christophe et Stéphane Botti

Du 22 septembre au 31 décembre 2011
Du mardi au samedi à 21h30

Théâtre des Variétés
7 boulevard Montmartre, Paris 2e
Métro Grands Boulevards – Réservations 01 42 33 09 92
www.theatre-des-varietes.fr

www.chantons-dans-le-placard.com

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