Critiques // « C’est seulement que je ne veux rien perdre – La Dispute », de Marivaux, mise en scène de Grégoire Strecker au Studio Théâtre de Vitry

« C’est seulement que je ne veux rien perdre – La Dispute », de Marivaux, mise en scène de Grégoire Strecker au Studio Théâtre de Vitry

Oct 08, 2014 | Commentaires fermés sur « C’est seulement que je ne veux rien perdre – La Dispute », de Marivaux, mise en scène de Grégoire Strecker au Studio Théâtre de Vitry

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Crédit photo Antoine Stecker

Crédit photo Antoine Stecker

 

Des corps qui hurlent, claquent, se reniflent comme des chiens perdus, lèchent leurs plaies. Des corps qui titubent, tombent, rampent. Des corps qui ruissellent, suintent, pleurent, bavent. Des corps en souffrance, en jouissance… Des corps ébauchés, en promesse. Corps, cris, souffle. Cris du corps, bruit mat et mouillé de la chair. Des corps nus tremblants, comme nue la vérité tremblante. Dépouillés. Bruts. Sauvages. A poil Marivaux !

Le jeune metteur en scène Grégoire Strecker empoigne Marivaux et le trousse sans ménagement par devant et par derrière, à sec. La dispute devient au sens littéral un champ d’expérimentation où la langue n’est plus qu’une ébauche, la parole articulée, désarticulée. Si la pensée fraie son chemin laborieusement, le corps dans sa fulgurance instinctive, sa sauvagerie, précède l’idée. Ce ne sont pas des hommes mais des animaux que la parole peine à domestiquer, à maîtriser. La vérité animale, primale, voilà ce que Grégoire Strecker fait jaillir comme une saillie. Le langage du corps, infaillible, qui vous fait s’empoigner avec rage, sauvagerie et sensualité rude. La dispute de Marivaux devient formidablement triviale et organique. Grégoire Strecker fait exploser l’exposé théorique, la mécanique de Marivaux, pour passer à la pratique. C’est trash, c’est cash. C’est une vision cohérente et sans concession menée jusqu’ au bout, jusqu’à l’épuisement physique. Le plateau est un champ opératoire, un vaste laboratoire où le Prince n’est plus qu’une voix synthétique surgissant d’on ne sait où et qui ordonne. Les personnages sont livrés à leurs instincts. Les corps aux abois, en désir, se heurtent, se broient, s’enlacent, se dénouent, baisent, se branlent. Et Grégoire Strecker, avec intelligence et à propos, mélange les genres. Eglé est interprété par un homme, Azor par une femme. Car la vérité en amour c’est aussi une question de peau, pas de sexe. Alors Eglé peut bien tomber amoureux de Mesrin, on se fiche bien de leur genre. D’ailleurs on finit même par se ficher du texte tant les corps sur le plateau vont au-delà du propos de Marivaux. Mieux même, lui donnent véritablement chair et sueur. En le dépouillant de sa froideur théorique ils l’habillent de leurs nudités effrontées d’innocence. Et c’est formidable et beau, terriblement beau, de voir combien les comédiens vont jusqu’au bout, se désarment, se dépouillent, s’empoignent pour atteindre le cœur du propos, une vérité intrinsèque et ténue qui les vêt plus sûrement que les lambeaux d’oripeaux dont ils se défont.

 

Chaque soir il leur est demandé en partie d’improviser. Comédiens, créateur lumière et son. Il y a quelque chose alors qui advient, d’incertitude, d’attentivité, offrant à toute cette violence et cette cruauté une instabilité, une fragilité. Comme toute expérience dont le résultat est aléatoire. C’est bouleversant d’humanité car le théâtre se fait sous nos yeux, semble s’élaborer à l’arrachée, la pensée se construire et se troubler parfois. Comme si cette expérience se devait d’être unique. Grégoire Strecker, on le voit, entre tension et relâchement, ne lâche jamais le fil du propos de Marivaux. Mais il le met à nu, décharne le texte, l’équarrit foutrement pour en retrouver l’essence, ses nerfs et sa moelle. Arrachant d’un coup sec tous clichés, toutes morales pour retrouver ce qui dessous le tient : le corps dans la nudité crue de ses émotions. Pas de marivaudage mais des corps, de la chair, entre inquiétude et désir. Et si le texte de Marivaux n’est au final qu’un prétexte on se fiche de cela comme d’une guigne.

 

C’est seulement que je ne veux rien perdre – La Dispute
Texte Marivaux
Mise en scène de Grégoire Strecker / Cie champ 719
Dramaturgie Julie Sermon
Création Lumière Nicolas Ameil
Création sonore Thomas Prulière
Avec Quentin Bouissou, Benjamin Candotti-Besson, Alban Laval, Béatrice Venet, Charlotte Van Bervesselès, Charles Zevaco

Du 10 au 13 octobre 2014 à 20h, le dimanche 12 à 16h

Studio Théâtre de Vitry
18, Avenue Insurrection – 94400 Vitry sur seine
Réservations 01 46 81 75 50
www.studiotheatre.fr

 

Be Sociable, Share!

comment closed