© Jon.D
ƒƒƒ article de Hoël Le Corre
La flamme d’une bougie troue l’obscurité, une voix grave et envoûtante s’élève dans un chant tzigane et le visage grave et mélancolique d’une femme nous apparaît. Elle sera la Rescapée de ce pays en guerre, lieu indéfinissable mais malheureusement de toutes les régions et de toutes les époques, espace universel, détruit par la bêtise des hommes. Laissée pour morte, elle deviendra la témoin, la passeuse d’âme, la mémoire des victimes… Interprétée par une Prisca Lona sensible autant qu’énigmatique, cette figure féminine semble représenter autant la douleur que la résilience. La tirade où elle raconte comment elle prend soin des corps morts nous fait battre le cœur un peu plus fort, et n’est-ce pas pour cela que nous allons au théâtre ?
À ses côtés, deux Fossoyeurs, sorte de duo tragi-comique aussi attachant que pathétique interprété par les complices Arnaud Carbonnier et Olivier Hamel, suent sang et eau pour transporter les corps jusqu’au bûcher. Le dos cassé, la peau bardée de démangeaisons et cloquée par la chaleur des flammes, mais l’esprit et le sens de l’humour toujours alertes, ils sont une sorte de contre-point absurde à la poésie et la gravité de la Rescapée.
La mise en scène fluide et tout en tendresse d’Alexandre Tchobanoff permet à nos âmes de spectateurs d’osciller entre la parole profonde et poigante de cette femme et les situations grotesques dans lesquelles se retrouvent nos deux Fossoyeurs, qui décident par exemple d’entrer en grève pour dénoncer leurs conditions atroces de travail. Pragmatiques, ils proposent d’utiliser la chaux plutôt que le feu pour faire disparaître les corps ; ce qui paraît aussi absurde que réaliste, alors que les morts s’accumulent. Ces deux mondes qui entrent en résonance forment le tableau d’une humanité bouleversante et une ode à la vie, malgré la guerre, et après la guerre.
En cela, le texte de Laurent Gaudé, d’une intelligence et une finesse folles, ouvre l’espace à des émotions diverses – car oui, malgré le sujet grave, on rit aussi – qui viendront à leur tour enrichir la réflexion sur les actions en temps de guerre et sur la mémoire collective. L’osmose entre les mots, la mise en scène et l’interprétation permet de donner à ce Cendres sur les mains toute la profondeur et l’humanité des émotions que traversentles personnages, et de conquérir une salle soufflée par la force du propos.
© Jon.D
Cendres sur les mains, de Laurent Gaudé
Mise en scène : Alexandre Tchobanoff
Avec : Arnaud Carbonnier, Olivier Hamel et Prisca Lona
Assistante mise en scène : Prisca Lona
Durée : 1h05
Le 15 mai 2023 au Studio Hébertot
Studio Hébertot
78 bis Boulevard des Batignolles
75017 Paris
www.studiohebertot.com
Puis du 7 au 29 juillet 2023 au Festival Off d’Avignon au Théâtre des Carmes à 13h45
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