Critiques // « Ce que j’appelle oubli » d’Angelin Preljocaj au Centquatre

« Ce que j’appelle oubli » d’Angelin Preljocaj au Centquatre

Mar 14, 2013 | Aucun commentaire sur « Ce que j’appelle oubli » d’Angelin Preljocaj au Centquatre

ƒƒ Critique Jean-Christophe Carius

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© DR

Joindre le geste à la parole

“Ce que j’appelle oubli” est un court texte de Laurent Mauvignier qui raconte comment, à Lyon en 2009, un jeune marginal a trouvé la mort sous les coups des vigiles d’un supermarché, parce qu’il avait consommé une bière sans la payer. Élargissant et interprétant cet événement choquant, l’auteur adresse à un hypothétique frère de la victime, l’autopsie phénoménologique des circonstances physiques et morales qui ont conduit à cette tragédie abominable. D’une phrase unique, sans vrai début, ni point final, son regard implacable décrypte l’enchaînement des actions et met en lumière le terreau social empoisonné qui a permis leur faisabilité. Parole écrite comme une pensée, entre mèl soutenu et style épistolaire, le texte dessine les contours de mentalités évidées par les frustrations d’une société au mercantilisme aliénant.

Angelin Preljocaj, chorégraphe imprégné de culture du ballet classique mais créateur résolument contemporain, importe ce récit sur les tréteaux de la danse. Depuis le « Pavillon noir » d’Aix-en-Provence, le Centre chorégraphique national dont il est le directeur artistique et qui héberge sa compagnie, il poursuit une démarche créative où se multiplient les collaborations avec des artistes de tous horizons. Son art de la composition chorégraphique s’impose par l’esthétique de son lexique corporel et la virtuosité syntaxique de ses enchaînements physiques. Il aborde “Ce que j’appelle oubli”, pièce pour un comédien et six danseurs, comme une nouvelle expérience dans sa recherche d’un mariage entre danse et littérature. Ajustant l’harmonique de ce composite d’interprétation, le spectacle s’évertue à réaliser la jonction profonde du geste à la parole.

Dans le cadre minimal d’échafaudages sur fond noir, semblables aux poutrelles du pavillon qui sert de nid au Ballet Preljocaj, Laurent Cazenave, jeune comédien talentueux, se fait le porteur du sens intense des mots de Mauvignier.  Son emphase sincère tend, sous les pas des danseurs, le fil de fer noueux et étincelant de sa tirade illimitée. Les scènes dansées font d’autant plus mouche qu’elles dépassent les fausses bonnes idées d’un symbolisme trop formel et atteignent un haut niveau de plasticité rythmique. De plus en plus calligraphique, la chorégraphie épouse le texte pour l’élever au sommet de ses motifs ornementés. La lettre s’enrichit de ces enluminures de mouvements qui lui confèrent leur force et leur beauté. Comme le cheval et le cavalier, comme la musique et le parolier, cet aperçu d’une littérature dansée présage d’une forme d’expression puissante du corps et de la pensée.

 

« Ce que j’appelle oubli »
Pièce pour 6 danseurs et 1 comédien

texte : Laurent Mauvignier, Ce que j’appelle oubli (Éditions de Minuit)
chorégraphie-mise en scène : Angelin Preljocaj
musique : 79D
scénographie et costumes : Angelin Preljocaj
création lumières : Cécile Giovansili-Vissière
Avec
narrateur : Laurent Cazanave
danseurs : Aurélien Charrier, Fabrizio Clemente, Baptiste Coissieu, Carlos Ferreira Da Silva, Liam Warren, Nicolas Zemmour
assistant, adjoint à la direction artistique : Youri Van den Bosch
choréologue : Dany Lévêque

Durée : 1h30
du 8 au 10 mars

Le Centquatre
5 rue Curial
75019 Paris
M° Riquet
http://www.104.fr

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