Critique de Camille Hazard –
Où fuir lorsqu’on se sent pris comme dans un étau ? Quels choix s’imposent à nous lorsque l’autre, celui qui partage notre vie, ne se ressemble plus ? Enfin, que faire quand on sent la vie, l’amour, les rêves, le bonheur nous quitter dans une lancinante agonie ?
Elsa et Paul, couple multiple de « Cavales » ont choisi la fuite ; car là où d’autres auraient mis fin à cette relation sans issue, eux gardent l’espoir de la guérir et de se connaître.
© STEKYNDT
Pendant leur mariage, Elsa s’enfuit à travers champs jusqu’à parvenir à une forêt, lieu propice à l’imagination et aux rêves… Là, un homme la rattrape, la calme, l’écoute et l’emmène… Il s’appelle Paul et lui plait terriblement…
« La cavale, par définition, ne mène nulle-part. C’est un plongeon dans le vide où l’on oublie l’avant et où l’on ne projette pas d’après. Car, au-delà de partir de quelque part, c’est soi, ici et maintenant, que l’on quitte. Comme pour se réinventer. » Sébastien Rajon
La subtilité du texte et de la mise en scène se dévoile petit à petit, au fil des tableaux. Si à la suite de cette course à travers bois, nous sommes un peu décontenancés par les innombrables moments de vie décousus d’Elsa et de Paul, nous finissons par comprendre, dans un climat pesant, autant la force que l’absurdité de leur vie.
Car leur cavale a été créée de toutes pièces ; les différentes ‘Elsas’ que nous rencontrons ne sont nées que des fantasmes et des projections de la vraie Elsa. Les multiples de Paul, tentent de trouver des raisons de vivre, s’oublient, se créent des facettes, se découvrent… Tour à tour, ils refaçonnent leur image et celle de leur conjoint : celle que chacun aimerait avoir, celle qu’ils ont l’impression de renvoyer et celle qu’ils renvoient à l’autre… Tout un labyrinthe d’illusion et de jeux de rôles.
© STEKYNDT
Stéphanie Papanian et Michel Lalibert interprètent tour à tour des personnages divers et variés en gardant toujours l’unique cerveau d’Elsa et de Paul ! En mettant beaucoup de vérité dans leurs personnages, ils créent un sentiment de malaise chez les spectateurs, déclenchent des rires nerveux et nous essoufflent !
Pierre Vignes apporte à son écriture une densité dramatique, un contrôle parfait de ce qu’il veut faire endurer au public, toujours avec finesse et pointes comiques.
Sébastien Rajon, (dont on se souvient de l’excellente mise en scène du « Balcon » de J.Genet à l’Athénée) prolonge l’atmosphère cauchemardesque de l’auteur ; avec très peu de décors (une petite structure centrale permettant de faire coulisser des portes et quelques accessoires), il recrée une forêt, un appartement luxueux, une voiture roulant sur l’autoroute… Les deux comédiens servent l’inventivité de cette mise en scène, changeant eux-mêmes, le décor mobile à chaque tableau.
Se situant entre le voyage initiatique, le road-movie, le climat fantastique et dramatique, le public voit décliner sur scène toutes sortes de facettes qui pourraient lui appartenir et auxquelles il pense parfois avec regret… Ça fait mal mais ça réveille !!
Soulignons que l’espace théâtral se prête idéalement à la pièce : une salle du théâtre Essaïon, en sous-sol, voutée, en pierre, et qui offre une ambiance confinée, comme si nous étions à l’intérieur de deux cerveaux en fuite.
Cavales
De : Pierre Vignes
Mise en scène : Sébastien Rajon
Assistante mise en scène : Raphaëlle Prost
Avec : Stéphanie Papanian, Michel Laliberté
Lumières : Florent Barnaud
Son : Pygmy Johnson
Costumes : Victoria VignauxDu 18 Janvier 2011 au 26 Février 2011
Théâtre Essaïon
6 rue Pierre au Lard, 75 004 Paris – Réservations 01 42 78 46 42
www.essaion.com