© Simon Gosselin
ƒƒ article de Nicolas Thevenot
Certains accueils valent tous les mots. Antoine Cegarra se tient en bord de plateau, à côté des gradins qui jouxtent la scène de la Panopée – Théâtre de Vanves. Un sourire de Joconde flotte sur ses lèvres, il a le même regard, amène, avenant. Rétrospectivement, au vu et au su du sujet exploré par Cantique quantique, on pourrait presque, avec malice, voir en lui l’homme habituellement habillé de noir, près du cercueil, accueillant famille et proches en peine, présidant avec douceur au bon déroulé des événements. Sauf que lui est en basket et porte un sweat-shirt, en patchwork, lui détachant les bras dans une couleur sombre comme s’il s’agissait des ailes d’un oiseau. A l’arrière, à cour, un renard, à l’arrêt, comme figé dans sa course, nous fixant du regard. Quoi de plus normal : quelque chose de pince-sans-rire pour croquer la mort.
A partir d’un texte de Vinciane Despret (Au bonheur des morts), Antoine Cegarra nous invite à un voyage exploratoire, à une conférence avançant en zigzag, divagant pour atteindre plus surement ce qui ne saurait se trouver aisément : les morts, l’inanimé, ce hors champs de notre société. Je retrouve avec un vrai bonheur les mots de Vinciane Despret, son écriture à la fois classique et éminemment sensible et précise. Antoine Cegarra s’en approprie avec aisance, déroulant un modelé souple de la parole, énonçant à fleur de lèvres, ce qui nous ferait presque oublier l’origine écrite du texte. Il est un guide et un passeur : de mots et de frontières. L’invisible, l’inanimé, deviennent de nouvelles lisières où se frotter. Ce sont des domaines oubliés et relégués aux confins de nos consciences, des royaumes endormis sous la jungle de nos dénis.
Tout est question d’attention, d’écoute. Antoine Cegarra nous prend par la main et nous tire l’oreille. La mise en spectacle de ce texte dans sa recherche d’une disponibilité de la conscience propice à la flânerie hors des chemins battus, le fragile fil d’attention tissé entre acteur et spectateurs menaçant de rompre à tout instant, sont comme une mise en abyme de cet affût à l’inattendu, à l’oublié, à l’inanimé, à l’invisible, aux disparus qui pourtant ne cessent de paraître au seuil de notre indifférence aveugle. La beauté de ce parcours réside dans son indétermination, navigant à vue, ou mieux dit : au-delà de toute vue, ricochant d’un récit à l’autre, faisant apparaître des figures tutélaires et aimées, telle celle de Walter Benjamin, penché à sa table dans l’obscurité. Le rien peut aussi abriter l’infini de l’inconnu.
Cantique quantique se retirera comme sur la pointe des pieds, pour ne pas rompre une conversation entamée avec nous-mêmes et en nous-mêmes, le spectateur et le plateau retourneront à leur brouillard originel, révélateur et écran à la fois, mutique et mieux-disant, avec en guise de manuel éthologique l’écho de la douce voix pop d’Antoine Cegarra et le regard lointain et amusé d’un renard empaillé.
Cantique quantique, conception, écriture, performance d’Antoine Cegarra
A partir du texte Au bonheur des morts. Récits de ceux qui restent, de Vinciane Despret
Création lumière : Ondine Trager
Régie lumière : Ondine Trager ou Lucie Cardinal
Création son : Gilles Amalvi
Costume : Pauline Kieffer
Stagiaire lumière : Malù França
Regard dramaturgique : Céline Cartillier
Durée : 1 h 10
Le 21 janvier à 19 h 30
Théâtre de Vanves – Salle Panopée
11 Avenue Jacques Jezequel, Vanves
Tél. 01.41.33.93.70
www.theatre-vanves.fr
comment closed