Critiques // « Caligula » de Camus à l’Athénée, mise en scène Stéphane Olivier Bisson

« Caligula » de Camus à l’Athénée, mise en scène Stéphane Olivier Bisson

Jan 24, 2011 | Aucun commentaire sur « Caligula » de Camus à l’Athénée, mise en scène Stéphane Olivier Bisson

Critique d’Anne-Marie Watelet

« Caligula » : Camus s’empare avec passion de ce personnage historique qui régna sur Rome (1er siècle av. JC) en répandant la terreur et la mort.

Folie ? Peut-être, mais la pièce qu’il écrivit en 1938, alors qu’il n’a que vingt-cinq ans, donne à voir un héros romantique plutôt qu’un despote sanguinaire seulement. « Caligula est un idéaliste », souligne un patricien. Il remania plus d’une fois cette première version, et se défendit un peu plus tard d’avoir écrit une pièce philosophique. C’est l’histoire tragique d’un homme au pouvoir suprême, mais qui se trompe.

© Letizia Piantoni

« Coupables, nous sommes tous coupables. »

Caligula a vingt-quatre ans lorsque meurt sa soeur Drusilla qu’il aime d’un amour fou et incestueux. Il découvre alors l’inanité de la vie, la veulerie et la lâcheté des hommes. Pris du désir d’atteindre l’absolu, il recherche désormais l’impossible (même la lune) et veut se révolter contre le destin et les Dieux. Pour cela, il renverse toutes les valeurs, s’octroie la liberté extrême contre tous. Liberté de vie et de mort sur ceux qui accompagnent son pouvoir, soutenue par une intelligence et une logique implacables dans l’arbitraire. Il se délecte dans l’asservissement, les humiliations, les exécutions et le vice. Car le mépris lui donne le goût du sang, il en souffre.
Mais en niant les hommes il se nie lui-même. Il est seul, dialogue seul, n’entend pas les réponses. « L’intelligence, il faut la payer ou la nier », dit-il. Poursuivre le Bien, le Bonheur, l’Amour… Non, rien n’est vrai, rien ne dure. Le prix de sa vérité est sa propre destruction. Caligula, dit Camus, « est l’histoire d’un suicide supérieur. [Il] consent à mourir pour avoir compris (…) qu’on ne peut être libre contre les autres hommes ». Or, cet empereur, si puissant soit-il, souffre de paranoïa, et au fond de lui se tapit le monstre qui le ramène à l’enfance.

© Letizia Piantoni

Si le parti pris dans la mise en scène et les décors est juste, dessinant l’ambivalence du personnage et soulignant les figures qu’expose Camus (servilité, peur, tentatives d’héroïsme des patriciens) il n’en va pas de même pour le jeu des comédiens.

Le texte est fidèlement restitué, au détail près, et les didascalies ne sont pas en reste, ce qui est bien. Dans son adaptation, le metteur en scène révèle le caractère ambivalent de Caligula (sa volonté d’absolu et son infantilisme), et choisit de forcer ce trait – plus historique cette fois, et si déroutant – de l’homme immature, enfant gâté et capricieux, enivré en même temps de ses jeux de massacres. Bruno Putzulu s’acquitte fort bien de ce rôle. Son visage multiplie les expressions avec vivacité, se complait dans les facéties, grimaçant de plaisir lorsqu’il annonce les pires réformes ou telle exécution. Mais à trop jouer dans ce registre, il fait perdre au personnage son pouvoir dictatorial bien réel : pleurnichard à la voix chevrotante durant tout le premier acte, on a peine à reconnaitre ou imaginer l’empereur romain. Puis il manque de maintien, conforté dans un état infantile. Est-ce pour cette raison que l’on ne reçoit ni trouble ni émotion ressentis pourtant à la lecture du texte ? De même, les six patriciens, bien interprétés – en dehors du timide Maxime Mikolajczak qui est Scipion – ne dégagent pas assez, cependant, la sensation de danger. Quant à Caesonia, personnage intéressant, ancienne maîtresse soumise de Caligula, est incarnée par Cécile Paoli, trop jeune, parfois frivole et trop “glamour” dans sa longue robe noire sexy et pailletée. Le jeu, donc, n’atteint pas la portée du texte. S’il provoque, de façon justifiée, quelques rires (les raisonnements de Caligula) et l’indignation, nul malaise ne nous étreint. En outre, la part de héros romantique chez Caligula, qui fait penser à « Lorenzaccio » (dans la pièce de Musset), est hélas édulcorée. Enfin, notre surprise est grande lorsqu’on voit, au début de la pièce, se lever et avancer lentement la jeune Drusilla, vêtue d’une longue robe blanche et brillante, tel un personnage hollywoodien !

© Letizia Piantoni

Les décors renvoient également au monde de l’enfance, et créent avec originalité un univers vétuste, sans âge.
Sur le plateau, un espace familier. De chaque côté, des sortes de miradors en bois font penser à des jeux de construction; ils s’ouvrent pour laisser voir des entassements d’objets, des jouets – baigneurs mutilés… Et des moulages de visages évoquent la double personnalité de Caligula : la mort, la tragédie et le jeu de marionnettes. Les éléments du décor se déplacent ingénieusement, comme si le spectateur changeait d’angle. Cependant, il fallait laisser quelque place à la grandeur : le trône qu’improvise l’empereur est fait de matelas superposés, eux aussi usés. Ne serait-elle que symboliquement représentée, la grandeur romaine n’aurait pas gêné l’intention louable de mise en scène, à savoir que cette pièce pourrait être la chambre d’enfant que Caligula n’a jamais quittée.
La musique ne réserve pas de surprise. Agréable musique d’ambiance, elle complète le jeu des comédiens : reflète les sentiments, anticipe actions et évènements. Les timbales résonnent lors d’une attente ou d’un assassinat, d’un orage. Des airs  doux comme une pastorale accompagnent les échanges poétiques sur la nature, et les moments d’abandon de Caligula sur l’épaule de Caesonia ou de Scipion. On reconnait quelques morceaux de musique de films (Ennio Moricone, Alfred Hitchcock).

Dans l’ensemble, scénographie, décors et choix de mise en scène sont honorables, mais on déplore le manque de tension dans le jeu des comédiens. La profondeur du texte de Camus, les idées et les faits qu’il rapporte, d’une actualité hurlante sur le plan politique et moral, ne sont pas suffisamment mises en valeur. Il reste que c’est un beau spectacle.

Caligula
Texte : Albert Camus
Mise en scène : Stéphane Olivier Bisson
Avec : Bruno Putzulu, Cécile Paoli, Maxime Mikolajczak, Jean Deconinck, Patrick d’Assumçao, Pascal Castelletta, Clément Carabédian, Claire Hélène Cahen, Gauthier Baillot
Assistante à la mise en scène : Tatiana Breidi
Scénographie : Georges Vafias
Costumes : Rose Marie Melka
Lumières : Lauriano de la Rosa
Musique : Jean-Marie Sénia

Du 20 janvier au 5 février 2011

Athénée Théatre Louis Jouvet
Square de l’Opéra Louis Jouvet, 7 rue Boudreau, 75 009 Paris – Réservations 01 53 05 19 19
athenee-theatre.com

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