© Grégory Augendre-Cambon
ƒƒƒ Article de Denis Sanglard
Présence sardonique, capable de cingler la salle dissipée de son esprit caustique, Monsieur K. a pour royaume la chanson française, l’esprit berlinois et la folie camp, la présence troublante de celui capable de transgresser le genre. Jupe et corset noirs, frac, talons de 16, bas rouges et haut de forme feutré ajouré d’une voilette, teint blafard des clowns blancs que déchirent des lèvres dégueulant leur vermillon, tel se présente ce maître de cérémonie atrabilaire et misanthrope. Monsieur K. est un chanteur, un interprète, fils spirituel de Marie Dubas, de Marianne Oswald, frère de Juliette et de Georgette Dee, consœurs réalistes et surréalistes, magnifiquement décadentes, qui chantent les amours vénales, toxiques et désenchantées. Il fallait à cet artiste foutrement iconoclaste et acide, charismatique et généreux, un écrin qui lui ressemble, un antre qui rassemble ses pareils esseulés, éparpillés. Une cour des miracles pour de folles et fantasques créatures, et le temps d’une nuit renverser cul par-dessus tête nos préventions absurdes. Il y a un an ouvrait sous sa houlette intransigeante et caustique un cabaret interlope et mystérieux non loin du Père Lachaise. Le Secret, tel est son nom, était bien gardé. Seuls quelques fidèles du temps de Madame Arthur, cabaret auquel il présida à la renaissance avant de s’en éloigner avec raison, le suivirent fissa et sans barguigner, avec bonheur, certains de retrouver ce vent de liberté frondeuse et insolente, loin de tout compromis, de concession au public, exigeant dans sa programmation originale et changeante, ouvert aux artistes les plus talentueux et déglingués, aux univers singuliers, volontiers provocateurs et hors-norme. Et bientôt bruissait dans Paris la rumeur que là, dans cet endroit singulier, une fois par mois, se passait donc quelque chose d’unique et de rare, à nul autre pareil. Le Secret n’en est plus un qui entame depuis janvier sa deuxième saison avec un succès qui ne se dément pas, le bouche à oreille éventant la chose, et toujours de la part de Monsieur K ce credo de ne faire aucune concession quant à la programmation choisie avec grand soin. Là, pas de compromis artistiques délétères et vains. Drag-queen et drag-king, transformistes, chanteurs, poètes, musiciens, artistes burlesques, performers… invités par Monsieur K le temps d’une soirée folle, ludique et lutine, à la main baladeuse comme il est affirmé non sans raison. Mais des artistes avant tout engagés, corps en avant pour manifeste, langues bien pendues, verbes aiguisés et assassins pour viatique, pour un chamboule-tout, un nécessaire jeu de massacre et pour que tombent avec fracas, poésie et paillettes nos préjugés imbéciles. Car ici ce qui prévaut c’est bien le frottement rêche entre le public et ces artistes dont les domaines touchent avec franchise, et volontairement, aux tabous, dont ils se jouent à merveille. Frottement dont jaillissent de joyeuses et brûlantes étincelles qui embrasent, carbonisent très vite le public. Pour les non-initiés et les vertueux c’est une sacrée découverte qui les renverse net et les oblige à un saut de côté salutaire, un regard neuf sur un monde insoupçonné. Il y a là quelque chose d’unique et de rare dans cette concentration, le temps d’un soir, d’artistes qui s’imposent par leur univers provocateur et inclassable, leur talent monstre et subversif, se refusant à la brosse à reluire et préférant le gant de crin. On y croise aussi bien David Noir, transformiste trash et déglingué que la Big Bertha, drag-queen impériale. On y a vu et entendu la délicieuse Jeanne Plante, aperçu Claire Diterzi. La délicate Bourette aussi pour ses compositions fragiles et quelques lectures de ses poèmes en boudoir illustrés en direct par Tom de Pékin. L’énergique et volontaire Victoria. La corrosive et explosive Luce Gaston dont la plume trempe assurément dans le vitriol. Miss Botero pour qui burlesque et féminisme vont de pair dont le corps en majesté s’affranchit des canons. Lalla Morte et sa science toute personnelle du streap-tease trash. Madame, aux épatantes et venimeuses chansons surréalistes et performances gastronomiques. Hôtel de Ville, inclassable et hilarante performeuse. La douce et caustique Krista, petite sœur de Marianne Oswald. Benjamin James, tout mimi et tout étonné de son succès pourtant mérité… François Chaignaud est passé par là, bientôt est attendu Jonathan Capdevielle. Et tant d’autres encore sur lesquels Monsieur K veille, vigilant et souvent rosse, qui font de ce cabaret sans pudeur un antre de la débauche poétique, de la performance outrageante, de l’échangisme artistique.
© Grégory Augendre-Cambon
Le Secret
17 rue Fernand Léger
75020 Paris
Le cabaret a lieu une fois par mois, prochaine date le 15 février à 20 h.
Pour tout renseignement et réservation cabaret.lesecret@gmail.com
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