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Bros, de Romeo Castellucci & Societas, mis en scène par Romeo Castellucci, MC 93

Fév 14, 2022 | Commentaires fermés sur Bros, de Romeo Castellucci & Societas, mis en scène par Romeo Castellucci, MC 93

 

© Francesco Raffaelli

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Comme toujours avec les créations de Romeo Castellucci, on sait d’avance que l’on va être dérangé, bousculé, éventuellement même manipulé. Comme souvent, quoi que l’on ait lu avant, et notamment l’éventuelle note d’intention du créateur italien, on ne va pas forcément voir ce que l’on a cru que l’on irait voir.

Comme fréquemment, on va vivre une expérience sensorielle captivante et éprouvante à la fois (en dépit des boules Quies distribuées à l’entrée de la salle) et ressentir après le spectacle une impression ambivalente.

La dernière performance, Bros, créée à Lugano Arte e Cultura en octobre 2021 et dont la première étape de tournée est en France à la MC 93 avant de poursuivre en Italie, Allemagne, Hollande et Taiwan, ne fait pas exception.

Castellucci indique avoir réuni sur le plateau dans Bros, « un groupe d’hommes anonymes pour questionner notre rapport à la loi et la responsabilité individuelle ». Cette seule indication interroge triplement, après avoir assisté au spectacle. Tout d’abord que veut dire anonymes ? En quoi des hommes sont-ils anonymes ? L’artiste n’a-t-il pas voulu dire anonymisés ? De fait, il serait difficile de les singulariser, en tout cas pour la majorité d’entre eux qui n’ont pas de rôle particulier et qui font partie du groupe de policiers en uniformes, qui se ressemblent beaucoup, comme des frères (« bros » est la contraction de « brothers ») à quelques exceptions près. Ensuite, pourquoi des hommes au sens restrictif d’êtres humains masculins ? En quoi des femmes ne pourraient-elles se fondre dans le groupe susmentionné ? Existe-t-il une raison objective à leur exclusion ? Enfin, est-ce « notre » rapport à la « loi » qui est questionné ou notre rapport à l’ordre, à l’autorité et les ressorts de la soumission et l’obéissance ? Est-ce qu’en évoquant la « responsabilité individuelle » Castellucci veut se placer dans la filiation de la « responsabilité personnelle » d’Arendt ? Plus les minutes s’égrènent, plus on a l’impression, notamment durant les scènes de torture, que c’est en effet de ce concept controversé de « banalité du mal » qu’il est question. Mais n’est-ce pas trop évident ?

Par le fait même que l’on accepte d’assister à des scènes d’humiliation, de sauvagerie, de férocité, on reçoit en miroir l’évidence de notre propre inhumanité, de notre propre monstruosité face à ce qui est inadmissible, inacceptable, insoutenable. Cela aussi, n’est-ce pas si facile ?

Les scènes de violence auditive et visuelle se succèdent à un rythme effréné, et de manière si chronométrée et millimétrée qu’il est impossible de croire au story telling du programme et des interviews de Castellucci, selon lesquels les comédiens à l’exception des trois professionnels, ne seraient que des amateurs recrutés dans la rue, et qu’ils ont été engagés à condition de respecter un pacte (distribué sous forme imprimée aux spectateurs) qu’ils s’engagent à suivre, comprenant des règles strictes d’obéissance et notamment de faire sur le plateau tout ce qu’il leur est indiqué par oreillette.

On se souvient que pour Le Procès de Bobigny, Emilie Rousset avait procédé ainsi avec ses comédiens (professionnels) en leur dictant leurs textes en live. Ici, point de texte, comme souvent dans les spectacles de Romeo Castellucci, mais des déplacements qui sont organisés de manière très chorégraphiée, ce qui exclut toute forme approfondie d’improvisation.

A la différence de Democracy in America (qui avait été présenté à la MC 93 durant le Festival d’automne en 2017) ou de La Passion de Bach, on n’éprouve pas avec Bros de moment contemplatif ou de choc esthétique à proprement parler. Le tumulte ne laisse aucun répit. Les fluides se répandent, les coups s’abattent, les images se succèdent, les références culturelles (Beckett, Radeau de la Méduse…) s’amoncellent sans que l’on ait le temps de les digérer, de faire le lien entre elles. Mais peut-être n’y en-a-t-il pas.

Après avoir assisté à Bros, peut-on oser penser que ces êtres robotiques sur le plateau, ces tortionnaires, ces exécuteurs sans conscience, nous ressemblent ? Ou que nous leur ressemblons ? Peut-on encore oser rêver à une forme de fraternité ? Rien n’est moins sûr. A moins de se reconnaître dans le prophète Jérémie qui ouvre le spectacle par ses imprécations, les oracles de désolation répandus par la bouche de cet être biblique persécuté qui n’aurait jamais renoncé jusqu’à son dernier souffle de vie, en dépit de ses échecs incessants, croyant toujours possible de rassembler ses frères dans une nouvelle Babylone.

 

© Francesco Raffaelli

 

Bros, de Romeo Castellucci & Societas

Mise en scène de Romeo Castellucci & Societas

Musique : Scott Gibbons

Maîtres-chiens : Cyril Ducellier et Hamid Zermani

Assistants à la mise en scène : Filippo Ferraresi et Silvano Voltolina

Collaboration à la dramaturgie : Piersandra Di Matteo

Écriture des étendards : Claudia Castellucci, traduites en latin par Stefano Bartolini

Lumières : Andrea Sanson

Son : Claudio Tortorici

Costumes : Chiara Venturini

Sculptures de scène et automations : Plastikart studio

 

Avec : Valer Dellakeza, Luca Nava, Sergio Scarlatella, Adrien Marseille / Achille Zanouda (enfants)

« Les hommes de rue » : Kourosh Alaj, Abdeljalil Benamara, Luca Besse, Jules Bisson, Karim Bouzra, Baptiste Brisseault, Guillaume Caubel, Diego Colin, Ashille Constantin, Romain Dat, Vincent Debost, Jonas Gomar, David Jeanne-Comello, Antoine Kobi, Hugo Lecuit, Denis Mathieu, Adil Mekki, Yamen Mohamad, Gérard Muller, Thomas Pasquelin, Luis Penaherrera, Arnaud Richard, Maxime Richir Storoge, Valentin Riot- Sarcey, Andrea Romano, Alberto Scozzesi, Clément Seclin, Hypo Soclet, Seny Sylla, Pascal Venturini, Nicolas Zaaboub-Charrier

 

 

Durée 1 h 15

Du 11 au 19 février 2022

A 20 h du mardi au vendredi, à 18 h le samedi, 16 h le dimanche

 

MC 93

Salle Oleg Efremov

9 boulevard Lénine, 93000 Bobigny

www.mc93.com

 

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