Critiques // Black Village de Lutz Bassmann, mise en scène de Frédéric Sonntag, par L’instant donné au Nouveau Théâtre de Montreuil

Black Village de Lutz Bassmann, mise en scène de Frédéric Sonntag, par L’instant donné au Nouveau Théâtre de Montreuil

Déc 24, 2019 | Commentaires fermés sur Black Village de Lutz Bassmann, mise en scène de Frédéric Sonntag, par L’instant donné au Nouveau Théâtre de Montreuil

 

 

© DR

article de Nicolas Thevenot

Comme Fernando Pessoa à une autre époque, Antoine Volodine écrit et publie sous divers hétéronymes. Lutz Bassmann est l’un d’entre eux, tous ses ouvrages sont publiés chez Verdier. De livre en livre, passant d’un hétéronyme à un autre, ou sous son propre nom (on pense au récent et génial Frères sorcières), Antoine Volodine a créé un univers littéraire singulier, trempé d’une encre noire, contrasté et lumineux, déployant des espaces et des temps d’après la catastrophe, traversés de récits d’une grande liberté narrative. Des fictions dopées au chamanisme littéraire le plus radical. À la lecture de ces textes, on a souvent eu le désir de voir quelqu’un s’en emparer pour les monter au théâtre, tant cette écriture est grosse de cela : des mots qui résonnent dans l’espace.

Black Village porte ce désir de manière encore plus évidente dans sa structure même. Trois êtres cheminent dans une nuit éternelle. Le temps, sans lumière, ne se mesure plus vraiment. Alors, pour s’y retrouver, Tassili, Goodman et Myriam enchaînent les histoires, comme autant de « balises verbales ». Les silences entrelaçant ces « narrats » peuvent être de quelques secondes, mois ou siècles. Les narrats s’interrompent à tout moment de leur récit, le sectionnant brutalement au beau milieu d’une phrase. Formant des « interruptats ».

Il y a du théâtre dans ce dispositif littéraire mais il y a également de la musique : les narrats s’enchaînent à la manière d’un clavier bien tempéré, reliés par de sombres harmonies, riches autant des péripéties énoncées que de l’écho qu’elles produisent par leurs interruptats, déchargeant des ondes de vibration à chaque amputation de récit. Dans cet univers sans lumière, le son est le dernier paysage qui s’offre aux protagonistes. Le bruit des choses est symphonie, le son est le monde.

Pour cette création sont réunis un ensemble contemporain, L’instant Donné, interprétant une composition d’Aurélien Dumont, et une comédienne, Hélène Alexandridis. Les musiciens sont sur la scène divisés en deux groupes à cour et à jardin. Au fond du plateau un immense rideau de plastique, transparent, maculé de tâches et coulures noirâtres. Des suspensions d’ampoules. Beaucoup d’éclairages.

Frédéric Sonntag, metteur en scène du spectacle, prend à contre-pied le texte en l’inondant de lumière. Cela ne fonctionne pas selon nous. Non pas parce que le texte suggérerait le contraire – les éventuelles indications scéniques d’un auteur ne sont pas toujours judicieuses et ne font pas loi – mais parce qu’effectivement le texte n’opère pas dans cet état de visibilité comme cela pourrait avoir lieu dans la pénombre (pénombre pourtant suggérée dans la photo jointe à la présentation du spectacle). L’imaginaire qui est à l’œuvre ne prend pas racine. Allons plus loin dans la restitution de l’expérience vécue.

Les histoires de Lutz Bassmann alias Antoine Volodine travaillent l’étrangeté, le fantastique, cousinant avec un Edgar Allan Poe sous acide. La lumière insistante n’aide vraiment pas à plonger dans ces univers-là, elle maintient à la surface des contes, sagement, confortablement, alors même que ces pages sont pleines de cruautés, de terreurs, d’angoisses sombres, même si un noir humour les maquillent.

De même, la direction de la comédienne nous semble contredire ce qui travaille cette écriture si particulière. On s’attendait à une interprétation sourde, puisant en soi, creusant le boyau d’obscurité, s’adressant souterrainement aux autres marcheurs-public et à soi-même, avec cet objectif d’imprimer émotionnellement ces balises verbales comme autant d’expériences temporelles vécues. L’interprétation au contraire, en cohérence avec le parti pris lumineux, est extrêmement extériorisée, renforçant dans son expression ce que le texte contient déjà, et par là même le dévitalisant. Il n’y a plus d’événement, il ne reste que de la parole. À trop vouloir raconter, l’acte de raconter éjecte la matière du conte : on se retrouve dans le dispositif du récit pouvant même glisser dans l’explicatif, et non plus dans la matière épaisse, terreuse, charbonneuse, lourde de ces textes. Du cauchemar grimé d’étranges sourires on a dérivé vers la douillette lecture.

Ces partis pris de mis en scène sont vraiment fâcheux car la composition d’Aurélien Dumont et le travail musical du génial ensemble L’Instant Donné œuvrent de leur côté à élargir l’espace mental du spectateur dans des constructions sonores d’une richesse incroyable. Un magnifique écrin pour accueillir les mots de Lutz Bassmann.

La mise en scène aurait dû écouter, plutôt que montrer et démontrer.

Black Village, un projet proposé par L’Instant Donné

Texte Lutz Bassmann (alias Antoine Volodine)

Mise en scène Frédéric Sonntag

Composition Aurélien Dumont

Création lumière Manuel Desfeux

Scénographie, costumes, accessoires Juliette Seigneur

Régie générale Sylvaine Nicolas

Avec Hélène Alexandridis et six musiciens de L’Instant Donné Elsa Balas, Nicolas Carpentier, Caroline Cren, Maxime Echardour, Saori Furukawa, Mayu Sato-Brémaud

 

 

Durée 1 h 15

Du 17 au 19 décembre 2019 à 20 h sauf mardi à 19 h

 

 

Nouveau Théâtre de Montreuil

10, place Jean-Jaurès

93100 Montreuil

Réservation au + 01 48 70 48 90

www.nouveau-theatre-montreuil.com

 

 

Tournée :

21 & 22 janvier 2020 à 20 h

CDN de Bretagne, Lorient

Parvis du Grand Théâtre

56100 Lorient

Réservation au +02 97 02 22 70

www.theatredelorient.fr

 

16 mai 2020 – horaire à venir

Festival Les Musiques, Marseille

41 rue Jobin

13003 Marseille

Réservation au + 04 96 20 60 16

www.gmem.org/festivals/les-musiques-2020

 

 

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