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Black Label, conception de David Bobée et Joeystarr, à La Villette

Mai 19, 2025 | Commentaires fermés sur Black Label, conception de David Bobée et Joeystarr, à La Villette

 

© Arnaud Bertereau

fff article de Denis Sanglard

« Une vie est une vie »

« Une vie n’est pas plus ancienne ni plus respectable qu’une autre vie, de même qu’une autre vie n’est pas supérieure à une autre vie »

« Que nul ne s’en prenne gratuitement à son voisin, que nul ne cause du tort à son prochain, que nul ne martyrise son semblable »

« Le tort demande réparation »

« Pratique l’entraide »

« Veille sur la patrie »

« La faim n’est pas une bonne chose, l’esclavage n’est pas non plus une bonne chose »

« La guerre ne détruira plus jamais de village pour y prélever des esclaves ; c’est dire que nul ne placera désormais le mors dans la bouche de son semblable pour aller le vendre ; personne ne sera non plus battu au Mandé, a fortiori mis à mort, parce qu’il est fils d’esclave » ;

« Chacun est libre de ses actes, dans le respect des interdits des lois de sa patrie ».

Ainsi commence en préambule cette création coup de poing qui remet les pendules à l’heure quand la montée des extrêmes – droites comme gauches – le regain du suprémacisme blanc, les politiques libérales et a fortiori discriminatoires font le lit d’un racisme systémique qui n’en finit pas de pourrir nos sociétés en péril, nos démocraties éventrées sous les coups de boutoir populiste. David Bobée et Joeystarr ouvrent donc ce spectacle littéraire et chorégraphique autour des écrits de la poésie antiraciste par la charte du Manden ou Serment des chasseurs attribuée à la confrérie des chasseurs malinkés et datant de… 1222. Qui, donc, n’a pas attendu 1789, la Révolution Française et la déclaration des droits de l’homme pour appliquer un principe qui se devrait d’être universel. Et dit par Joeystarr, associé au metteur en scène, de cette voix unique, une vraie force de persuasion, c’est d’emblée signer un manifeste cinglant, profondément intelligent, indispensable. Et une entrée fracassante, en adresse aux spectateurs, dans la littérature et l’Histoire du point de vue des diasporas africaines, bien loin du regard et du récit colonial. Traite négrière, esclavagisme, colonialisme, lutte pour les droits civiques, violences policières… Black Label, qui doit son titre au poème de Léon-Gontran Damas, c’est une plongée érudite, vertigineuse et pertinente au cœur des écrits anti-racistes.

Leon-Gontran Damas donc, Aimé Césaire, Langston Hugues, James Baldwin, Malcom X ou des autrices comme Tracy K. Smith, Lisette Lombé et Eva Doumbia… des afrodescendants au black Live Matter c’est une pensée élargie de la négritude, la réappropriation d’une culture et de son histoire, « ce racisme antiraciste (…) seul chemin qui puisse mener à l’abolition des différences de races. » selon Sartre, qui n’était pas noir. C’est surtout comme le conceptualise Aimé Césaire, le rejet de l’assimilation culturelle, de l’égalité réelle, vision purement colonialiste et raciste. Qu’importe le continent ou l’époque, la haine du noir et de ses ravages reste le dénominateur commun qu’il faut combattre. Dans le choix des textes, poétiques et/ou politiques, qu’illustre une iconographie fouillée et percutante, des gravures esclavagistes aux manifestations pour les droits-civiques, portraits aussi de ceux qui furent de toutes les luttes, anonymes ou non, c’est tout un pan de la pensée et conscience noire engagée qui se révèle à nous dans sa pluralité féconde et sa réalité. Surtout, et tant pis pour le cliché, c’est ici faire œuvre indispensable d’un devoir de mémoire, sans fard et sans jugement autre que la nature des faits dans leur brutalité intrinsèque. « Héritier de l’horreur, je suis noir, et une leçon pour l’histoire, mon devoir de mémoire » assène et écrit ainsi Joeystarr.

Et puis à « ces gueux, ces nègres » pour reprendre le poème de Léon-Gontran Damas qui donne son titre à cette création écorchée, victimes des violences policières, David Bobée rend à chacun leur nom. Longue recension glaçante des victimes anonymisés qui se refuse au faits-divers pour n’être que le reflet d’un racisme ordinaire et systémique au sein de la police que le politique et le judiciaire tente toujours d’étouffer, symptôme d’une société malade qui n’en a pas fini avec ses démons et son inconscient colonial tenace. A ce titre la lecture de la lettre ouverte de la sœur d’Adama Traore, Assa Traore, mort en juillet 2016 lors de son interpellation, au-delà de l’émotion qu’elle suscite et de l’indignation envers le déni de justice dénoncé, met le doigt sur cette réalité nauséabonde que nombre se refuse à voir. Depuis Malik Oussekine, en 1986, la liste est longue de ces morts par bavure ici recensées.

Mais Joeystarr n’est pas seul sur le plateau qui ne se la joue pas plus que ça, conscient que ce sujet-là, dans sa violence contenu comme dans sa portée humaniste et universelle en réponse, se doit d’être dit sans colère, du moins est-elle rentrée, mais avec une conviction qu’il a bien évidemment chevillée fermement, lui le fils de martiniquais. Et ça cogne sévère quand il balance magistralement sa partition. Une belle complicité le relie à la contrebassiste et chanteuse jazz Sélène Saint-Aimé, voix de cristal pour un chant de douleur sublimée le chanteur et danseur Nicolas Moumbounou et Jules Turlet, artiste chansigneur lequel interprète l’intégralité de cette création en langue des signes. C’est un véritable quatuor où la parole circule des uns aux autres, se répond, rebondit, fait bouger les corps, porteurs eux aussi de cette mémoire tangible et collective. « La poésie est une arme de construction massive. » slame Souleymane Diamanka, un des auteurs choisi parmi les vingt-trois qui composent cette création. C’est aussi, le propre du théâtre, un acte de résistance. Preuve magistrale est faite ici.

 

© Arnaud Bertereau

 

 

Black Label, conception de David Bobée et Joeystarr

Avec : Joeystarr, Sélène Saint-Aimé, Nicolas Moumbounou, Jules Turlet

Conseil littéraire : Didier Boudet

Scénographie : David Bobée et Léa Jézequel

Décor : Les ateliers du Théâtre du Nord

Lumières : Stéphane Babi Aubert

Création musicale : Sélène Saint-Aimé, Jean-Noël Françoise

Vidéo : Wotjek Doroszuk

Costumes : Mayuko Bobée

Assistanat à la mise en scène : Sohie Colleu, Jean Serge Sahl

 

Vu le 10 mai 2025 (représentation unique)

 

La Villette

211 avenue Jean-Jaurès

75019 Paris

 

 

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