© Houssam Mcheimech
ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot
Un cadre au format paysage, à hauteur de visage, encadrant la transparence d’une vitre. À portée de main, sur un guéridon, un magnétophone. Lina Majdalanie entrouvre le rideau de velours, s’avance, glisse une cassette dans l’appareil et enclenche sa lecture. Questions, réactions, et commentaires d’une intervieweuse y ont été enregistrés par la même Lina Majdalanie, chargée d’y répondre devant nous. L’exercice s’impose d’emblée comique mais plus encore vertigineux tant les couches du réel, ou de son supposé, s’entrelacent dans une redoutable indistinction avec celles de leur représentation. L’illusion et l’illusoire semblent converser comme deux larrons en foire. L’entretien progressera telle une convention démasquée : tant qu’à passer les plats, autant se les passer soi-même, en se tirant soi-même le tapis sous les pieds. La forfanterie est à la hauteur du pied de nez. La fiction réside dans l’art de l’exagération. Et répondre à des questions, se soumettre à la question, est sans doute l’inverse du dévoilement : ce que Lina Majdalanie clame haut et fort trouble comme l’eau versée dans un verre de liqueur d’anis. L’interview a des airs d’interrogatoire, coupe la parole, coupe court. Rembobinons. Biokhraphia est une sorte de portrait publique et impudique dans la lointaine tradition du pilori, un autoportrait en but à l’adversité des opinions contraires, où les mots se font forts, les histoires personnelles ruent dans les brancards de l’Histoire, les odeurs se font politiques, et soi-même le dernier refuge de l’art. Cette partition minutée est un bijou de supercherie, et de ce double fond, comme de ce double jeu, croît la superbe de Lina Majdalanie.
Mais plus encore c’est, osons, la dimension proprement métaphysique sous les habits de la farce qui sidère : concaténant passé et présent, préenregistrement et direct, dans une folie et approximation toute quantique, Biokhraphia nous travaille et nous traverse en profondeur : dans l’égrènement des mots et des gestes, l’écoulement du temps tel qu’il nous est compté, avec tyrannie, une vie à conter, dans le compte à rebours qui siège à l’intervalle de silence entre une question et sa suivante, réglées comme du papier à musique. Biokhraphia est une forme métronomique, dont l’éternel retour de balancier menace toute velléité de liberté. La ruse et l’audace de Lina Majdalanie l’en affranchisse.
Œuvre travaillant à l’échappement du temps, à son passage en force, Biokhraphia émeut enfin par cet autre intervalle qu’il donne à mesurer entre la Linda Majdalanie de 2002 (en vidéo) et celle d’aujourd’hui, racine des cheveux blanchie. Le magnétophone, la vidéo, l’enregistrement ou la diffusion, agissent à la manière d’un sablier. Le grain de sable finira par enrayer l’engrenage spectaculaire, de la plus belle des manières, sans fleurs ni remerciements, comme un retour au réel.
© Bobby Rogers
Biokhraphia : texte et mise en scène de Lina Majdalanie et Rabih Mroué
Décor et graphisme : Ali Cherri
Avec : Lina Majdalanie
Programmation informatique et directeur technique : Thomas Köppel
Durée : 1h15
Du 13 au 16 novembre 2024
Mercredi, jeudi et vendredi à 19h30
Samedi à 16h30
La Commune – CDN Aubervilliers
2 rue Edouard Poisson
93300 Aubervilliers
Tél : 01 48 33 16 16
www.lacommune-aubervilliers.fr
Dans le cadre du Festival d’Automne
www.festival-automne.com
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