© Stéphane Trapier
ƒƒƒ article de Nicolas Brizault
Biographie : un jeu, un spectacle étrange, surprenant sous la plus exceptionnelle et positive des versions, drôle ici, tendu ailleurs. Kürmann essaie de « refaire » sa vie, de la modifier, par le biais d’un regard porté différemment ou sur toute autre chose tel ou tel jour, sous les conseils avisés et sérieux, parfois sous les ordres même d’un homme dont on ne connaît pas vraiment l’identité. Et alors ? Un metteur en scène – ce qui semble évident au tout début du spectacle – le bon dieu, n’importe quel diable pris d’une presque envie d’être aimable ici ou là ? Peu importe, ces exercices sont répétés d’une façon identique : le texte est repris, les tons, l’espace, varient d’un rien. On enlève ce verre ici, ou encore cette petite machine à musique, qui réapparaîtra si souvent. Kürmann veut revoir, changer, revivre pourquoi pas les presque rien qui ont ici ou là tant modifier sa vie. Il est studieux, râle, recommence. Le début est la rencontre avec sa deuxième femme, Antoinette, avec laquelle une histoire belle et douloureuse, allez savoir, un rien conflictuelle, et qui donne encore plus envie de voir si quelques années avant, en tournant à gauche ou en allant tout droit le résultat aurait été plus facile ? différent en tout cas. Kürmann est donc guidé par ce chef, et travaille avec sa femme, et les deux assistants, un homme et une femme, à la fois déménageurs, lecteurs de texte, nouveaux personnages.
Au tout début, les éclats de rire sont naturels, nombreux et lumineux. On sent tout de suite combien chaque personnage sera parfaitement mené par cette équipe attentive, puissante. Puis tout se complique, on se retrouve vraiment face à une reconstruction, ou des essais, des tentatives, un jeu sur la mémoire, absente ici où trop présente là, et faire en sorte qu’elle se maquille ou démaquille, c’est selon. Les décors participent à l’aventure, ne sont pas pour une fois une ligne invisible au sol ou des flashs lumineux insupportables. Les murs tournent, se transforment, changent d’époque, rajeunissent ou non et illustrent eux aussi tous les événements et aventures de la vie de Kürmann. La lumière sur les murs, le froid, le chaud, le silence et son contraire devancent les images parfois, donnant une bien sérieuse image.
Et José Garcia, Isabelle Carré, Jérôme Kircher, Ana Blagojevic, Ferdinand Régent-Chappey sont, comment dire, superbes ! Ce texte de Max Frisch, écrit en 1970 est bien loin de l’image que l’on pouvait avoir de ce spectacle, qui pouvait passer comme une vague histoire sur l’amnésie, la mémoire qui s’enfuit quelquefois pour des raisons diverses, et les effets qu’elle offre étrangement. Non, ce n’est pas cela, l’inverse même, comment construire cette mémoire, en faire une sculpture mouvementée et quasi vivante, correspondant aux envies que l’on pourrait avoir de notre passé et donc de notre présent, voir même d’après-demain, pourquoi pas plus encore. Le mystère et la réalité, l’aide et le chantage dansent un french-cancan attentif et ordonné, douloureux ou bienveillant. La jeunesse et ses travers, l’amour, la maladie, l’amour à nouveau ? Tout est repris, « rejoué », souligne les peurs, les envies, la peine et le bonheur fou. La mémoire est la vie romancée sans doute, les volumes ivres et trop nombreux d’une encyclopédie.
Le titre est sobre et puissant, un appel évident à venir se pousser les uns contre les autres pour apercevoir plus clairement tout ce qui remue, pleure, grimpe ou fait l’amour. Essence de oui, non, tu crois ? Des échos en plein travail. Nous restons spectateurs mais nous sommes poussés à réfléchir sur nos propres vies et là ou elles en sont. Après un spectacle presque nécessaire à voir pour mieux se comprendre, comprendre tout court, tenter, se lancer ? Bien, mal, justes, des avancées vraies ou fausses, des reculs imaginaires que nous avons la joie, ici, de vivre, avec lesquelles nous partons, silencieusement, avenue Franklin D. Roosevelt, la tête ailleurs pour un petit bout de temps.
© Stéphane Trapier
Biographie, un jeu, de Max Frisch
Mise en scène : Frédéric Bélier-Garcia
Avec : José Garcia, Isabelle Carré, Jérôme Kircher, Ana Blagojevic, Ferdinand Régent-Chappey
Piano : Simon Froget-Legendre
En alternance avec : Tristan Garnier
Collaboration artistique : Caroline Gonce
Décors : Alban Ho Van
Assisté de : Jeanne Fillion
Lumière : Dominique Bruguière
Assistée de : Anne Roudiy
Costumes : Marie La Rocca
Assistée de : Noémie Reymond
Traduction : Bernard Lortholary
Du 8 mars au 3 avril 2022
Salle Renaud-Barrault
Du mardi au samedi, à 21 h, le dimanche à 15 h, relâche les lundis
Durée 1 h 50
Théâtre du Rond Point
2bis, avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Réservation : 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr
Tournée :
27 — 30 avril 2022 THÉÂTRE DE NICE (06)
3 — 7 mai 2022 MARSEILLE (13)
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