© Erwan Fichou
ƒ article de Nicolas Thevenot
Une femme au sol. Lovée, recroquevillée, dans une étoffe pourpre. Immobilité cerclée d’un anneau de lumière. Une jeune fille, longue robe grise d’un autre temps, pénètre le cône de lumière après en avoir fait le tour, s’approche du corps, écarte les pans rouges et découvre une poitrine monstrueuse d’où pendent six mamelles. Louve ou diane d’Éphèse ? Chasseresse assurément !
Prendre soin. La jeune femme retrousse sa longue robe grise, découvre ses cuisses, les ouvre, s’en sert comme d’un appui où poser la tête de la femme sans vie. La position, cuisses ouvertes, dos cambré, suggère un accouchement. Cette séquence inaugurale est une énigme : elle met en scène une généalogie, mais dont le sens serait inversé, la fille enfantant la mère. Elle révèle aussi ce constat : il ne saurait y avoir de sœurs s’il n’y a pas de mère, et la sororité, utopie d’un pouvoir horizontal, se saurait être indemne d’un putatif pouvoir matriarcal, vertical. La domination n’est jamais éloignée de l’injonction.
Mais cessons ces digressions interprétatives et revenons-en au fait : Théo Mercier (également artiste plasticien, dont on avait vu la très belle exposition au Musée de la Chasse et de la Nature en 2019) et Steven Michel (danseur et chorégraphe) s’associent pour la deuxième fois et produisent ce spectacle inspiré du roman de Monique Wittig : Les Guerrillères. Composé d’une succession de tableaux d’une grande rigueur plastique, BIG SISTERS met en scène et chorégraphie quatre danseuses se fondant dans des formes qui sont autant de rituels : rondes, sabbat, apprentissage, entraînement, marche, combat. Chemin faisant, BIG SISTERS enchaîne pêle-mêle comme autant de représentations de la femme, ces figures de sorcière, guerrière, amazone, et, carambolage de l’actualité oblige, on pourrait même voir se détacher celle de la djihadiste contemporaine. C’est donc à une galerie de portraits que nous convient Théo Mercier et Steven Michel, mais dont les traits ne seraient plus soutenus par aucune intériorité, des archétypes en quelque sorte, comme en recycle l’industrie cinématographique, entièrement vidés de sens, dévolus à la pureté du signe. Les traits des figures ne sont plus que des traits, au sens guerrier, destinés à épouser littéralement le corps va-t-en-guerre des mots de Monique Wittig : « Elles disent qu’elles sont plus barbares que les plus barbares. »
Si l’on reconnaît une puissance dans le spectacle offert (on ne peut s’empêcher de penser à Romeo Castelluci pour sa netteté, sa précision, et son formalisme), encore démultipliée par la composition musicale de Pierre Desprats, il n’en demeure pas moins que BIG SISTERS garde sa distance, emmuré qu’il est dans sa forme. Brillante et polie comme une sculpture marmoréenne sur laquelle rien ne peut alors se déposer, s’accrocher, abandonnant le spectateur à sa paresseuse contemplation. C’est d’autant plus regrettable que l’on devine et perçoit à plusieurs moments dans la force de ses danseuses performeuses cette capacité à dépasser une forme rigide et à atteindre le lieu de la performance et à travailler alors l’espace du temps. Ce temps, futuriste ou mythique, à l’œuvre dans l’écriture de Monique Wittig, peine à exister au plateau car il ne trouve pas sa juste mesure en étant par trop mesuré.
Faire durer l’acte, ou sa répétition, pour que quelque chose d’inconnu se mette à excéder le signe immédiat, s’en détache comme la nécessaire mue de la larve. Faire brèche dans le temps de la représentation, et laisser advenir cet autre temps absolument présent parce qu’il saurait conjuguer le mythe au futur. C’est cela que l’on n’aurait aimer éprouver.
BIG SISTERS, conception, chorégraphie & scénographie Théo Mercier & Steven Michel
Texte extraits de Les Guérillères, de Monique Wittig (Éditions de Minuit, 1969) et autres prélèvements
Avec Laura Belgrano, Lili Buvat, Marie de Corte, Mimi Wascher
Collaboration artistique Jonathan Drillet
Création sonore Pierre Desprats
Création lumière Éric Soyer
Costumes Valérie Hellebaut
Collaboration couture Pauline Jakobiak
Création vidéo Thomas James, Erwan Fichou
Maquillage effets spéciaux Éric Ducron, Stéphane Chauvet
Maquillage Laurence Echevarria Mulens
Collaboration peinture Marie Maresca
Création prothèse Jean Christophe Spadaccini, Denis Gastou, Pierre Parry, Kazuhito Kimura
Régie générale François Boulet
Régie son Étienne Nicolas
Durée environ 1 h
Du 21 au 25 octobre 2020 à 18 h 30 sauf le 25 à 17 h
Centre Pompidou
Place Georges-Pompidou, 75004 Paris
Tél : +33 (0)1 44 78 12 33
Tournée
Les 13 & 14 novembre 2020
Festival du TNB, Rennes (Le Triangle)
Boulevard de Yougoslavie, 35000 Rennes
Téléphone : 02 99 22 27 27
Le 18 novembre 2020
La Soufflerie
2 Avenue de Bretagne, 44400 Rezé
Téléphone : 02 51 70 78 00
Les 26 & 27 novembre 2020
Le Maillon, Théâtre de Strasbourg
1 Boulevard de Dresde, 67000 Strasbourg
Téléphone : 03 88 27 61 81
Le 9 février 2021
Maison de la Culture, Amiens
2 Place Léon Gontier, 80000 Amiens
Téléphone : 03 22 97 79 79
www.maisondelaculture-amiens.com
Du 3 au 6 mars 2021
Théâtre de Vidy-Lausanne
5 Avenue Emile-Henri-Jaques-Dalcroze
1007 Lausanne, Suisse
Téléphone : +41 21 619 45 45
Le 2 juin 2021
Théâtre de Rotterdam (Pays-Bas)
Locatie TR Schouwburg
Schouwburgplein 25
3012 CL Rotterdam
tél : 010 – 40 44 111
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