Critiques // Bettencourt Boulevard ou une histoire de France, de Michel Vinaver, mise en scène de Christian Schiaretti, Théâtre de la Colline

Bettencourt Boulevard ou une histoire de France, de Michel Vinaver, mise en scène de Christian Schiaretti, Théâtre de la Colline

Jan 24, 2016 | Commentaires fermés sur Bettencourt Boulevard ou une histoire de France, de Michel Vinaver, mise en scène de Christian Schiaretti, Théâtre de la Colline

ƒƒ article de Denis Sanglard

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© Michel Cavalca

L’affaire Bettencourt. Un boulevard ? C’est bien plus complexe. Point d’amant dans le placard mais des squelettes que Michel Vinaver, pour la compréhension de cette histoire, exhume. Un boulevard oui, tendance comédie balzacienne, mais qui louche furieusement sur la tragédie antique. L’affaire Bettencourt c’est un mythe contemporain. Un mythe comme le définirait Barthes. Un symptôme de notre société, de notre fonctionnement politique et de ses scandales. Bettencourt Boulevard ou une histoire de France. Michel Vinaver n’instruit pas un procès à charge ou à décharge. Il n’expose que les faits, rien que les faits. Seulement il plonge avec causticité dans les arcanes intimes de cette tragédie. Les moteurs intimes qui l’animent. Au-delà des faits donc et de l’Histoire, la grande, minutieusement il démonte les ressorts de cette triste comédie devenue boulevardière, qui masque en fait le drame contemporain. Histoire d’une famille déchirée. Liliane Bettencourt fille de collabo cagoulard, fondateur de L’Oréal. De son gendre, petit-fils d’un rabbin mort à Auschwitz. Et puis comme dans toutes comédies il y a l’argent et le pouvoir. Ceux qui en ont, ceux qui n’en n’ont pas. Ceux qui en veulent davantage, toujours plus. L’argent circule ici avec une célérité et une indécence folle. L’argent et son corolaire, la corruption. Passive ou active. Et si possible les honneurs qui vont avec. Pas de comédie ni de tragédie sans amour et sans haine. Mais les sentiments aussi se corrompent. Tout se monnaie. Michel Vinaver en trente tableaux brosse un univers opaque où tout se tient, où tous se tiennent. Une affaire de gros sous et de politique, une tragédie nationale et familiale. Une galaxie de personnages, politiciens ou domestiques, qui gravitent autour de Liliane Bettencourt, qui les révèle à eux-mêmes. Ils deviennent ici des archétypes, des héros mythologiques incarnant des valeurs corrompues ou valeureuses. Une Liliane Bettencourt dont l’image se brouille au fur et à mesure et qui au final reste un mystère, une entité qui semble s’éloigner au fur et à mesure que l’on s’approche d’elle. C’est de cette combinaison exposée entre ces différents éléments, entre la banalité, l’ordinaire dans une affaire qui ne l’est pas, que Michel Vinaver fait théâtre. A nous de construire ou de reconstruire devant les éléments donnés cette affaire. C’est justement la question qui clôt cette pièce « Que vient faire le théâtre dans tout ça ? ». Justement, de construire le mythe là où le journalisme créait le fait-divers et son obsolescence programmée. En déplaçant  l’historique du procès sur la scène, le théâtre redevient un acte citoyen, une agora ou la chose publique est exposée pour être débattue de façon pérenne. Mais l’humour narquois de Michel Vinaver tord avec bonheur la tragédie contemporaine et devant, il est vrai, la grossièreté, l’énormité de cette affaire et son potentiel dramatique inouï en fait un boulevard, signe des temps sans doute où la comédie, la vulgarité remplacent inexorablement la tragédie. Triste réalité, nous avons les mythes que nous méritons.

La mise en scène de Schiaretti, très fluide, ne charge pas davantage le texte de Michel Vinaver. Pas d’orientation, d’explication dans un sens ou un autre. Cette mise en scène s’efface volontairement. Les tableaux se succèdent, l’affaire se déroule, les points de vue se multiplient, les avis divergent ou convergent, le temps se diffracte. Et cela sans heurt. Une neutralité stylistique apparente qui laisse toute la place au texte et ses enjeux dramaturgiques. Ce qui frappe c’est ce recul finalement nécessaire et juste. Christian Schiaretti comme Michel Vinaver fait de l’anecdote un point de vue sensible, singulier et éclairant. Mais n’oublie pas l’arrière-plan politique et historique. Dans ce décor coloré, inspiré d’une toile de Mondrian mais surtout de son utilisation pour un gel capillaire de la marque qui nous affirme que nous le valons bien, justement tout semble se figer au fur et à mesure ou s’empoisser au fil de l’enquête, des révélations et de la dégénérescence de Liliane Bettencourt. Pas de portes qui claquent, seulement des panneaux qui coulissent, fluidité toujours, mais comme au boulevard de la vivacité, de la légèreté et beaucoup d’humour. Et une gravité en arrière-plan que le premier tableau d’emblée assène. Le récit de la déportation du grand père rabbin du gendre de Liliane Bettencourt auquel se mêle celui du père de Liliane, collabo, antisémite. C’est ce balancement, cette oscillation entre deux styles, qui empêche judicieusement de basculer dans la satire. Une mise à distance heureuse que l’on retrouve dans la formidable direction d’acteur. Ils sont tous au diapason. Et formidables. Aucun jamais n’est dans la caricature. Leurs actions ou leurs comportements invraisemblables le sont suffisamment sans qu’ils semblent s’en rendre compte. Ces personnages on les connait plus ou moins tous. On retrouve leurs caractéristiques mais comme distanciées. Un jeu propre au boulevard justement. Mais là, à l’exception de quelques uns, ils acquièrent une complexité singulière. Particulièrement la domesticité, dont la comptable, plus au fait de la réalité que leurs supérieurs, quant à eux complétement déconnectés. C’est justement cette déconnexion des réalités de la part de ceux qui nous dirigent ou possèdent, de leur cynisme aussi, que met à nu Michel Vinaver. Et là on bascule dans la tragicomédie.

 

Bettencourt Boulevard ou une histoire de France
Texte Michel Vinaver
Mise en scène Christian Schiaretti
Lumières Julia Grand
Scénographie Christian Schiaretti et Thibaut Welchlin
Costumes Thibaut Welchlin
Création musicale Quentin Sirjacq
Coiffures et maquillage Romain Ma       rietti
Assistant à la mise en scène Clément Carabédian
Avec Francine Bergé, Stéphane Bernard, Clément Carabédian, Jérôme Deschamps, Philippe Dusigne, Didier Flamand, Christine Gagnieux, Damien Gouy, Clémence Longy, Elizabeth Maccoco, Clément Morinière, Nathalie Ortega, Gaston Richard, Juliette Rizoud, Julien Tiphaine, Dimitri Mager, Pierre Pietri… Et Bacchia
Avec la participation de Bruno Abraham-Kremer et Michel Aumont

Du 20 Janvier au 14 février 2016
Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30

La Colline – Théâtre National
4, rue Malte-Brun – 75020 Paris
Réservations 01 44 62 52 52
www.colline.fr

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