À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // Bérénice, de Jean Racine, mise en scène de Guy Cassiers, à la Comédie-Française, Théâtre du Vieux-Colombier, Paris

Bérénice, de Jean Racine, mise en scène de Guy Cassiers, à la Comédie-Française, Théâtre du Vieux-Colombier, Paris

Mar 31, 2025 | Commentaires fermés sur Bérénice, de Jean Racine, mise en scène de Guy Cassiers, à la Comédie-Française, Théâtre du Vieux-Colombier, Paris

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

N’importe quel espace vide peut faire théâtre, quelqu’un le traverse, pendant que quelqu’un d’autre l’observe, ça suffit. Au Vieux-Colombier dans le clair-obscur d’une lumière diffuse, les colonnades géantes veinées de bleu parlent, racontent, une cathédrale brutaliste simple, droite, géométrique, abstraite. Une sorte de verrière encadre des panneaux nus, avec au centre un monolithe mystérieux à la minéralité phosphorescente, symbole du pouvoir ?  Tombe ? Totem ? « La vie, disait Francis Ponge, est un cœur de pierre ». Dans ce temple entre deux mondes apparaît une femme entre deux amants, Titus et Antiochus (joué par Jérémie Lopez) qui n’en font qu’un chez Guy Cassiers « Cent fois, dit Bérénice, je me suis fait une douceur extrême / d’entretenir Titus dans un autre lui-même ». La fusion d’Arsace et de Paulin, les confidents, joués par Alexandre Pavloff, accentue l’ambivalence des personnages masculins, oscillant entre amour et pouvoir, douceur et cruauté. Bérénice n’est plus une adolescente, c’est une femme amoureuse, claire dans son désir. Titus se cherche encore et reste immature, il ira jusqu’à confirmer qu’il ne l’épousera pas, tout en la suppliant de demeurer à son côté ! La rencontre avec l’autre n’est-elle que rencontre avec soi-même selon Guy Cassiers ? Plus héroïque que son amant, Bérénice lui annoncera son départ et séchera ses larmes. Hors champ la rue romaine gronde, saigne des larmes de pluie qui coulent de la véranda dépolie.

Les volumes contribuent à créer des espaces entre ombre et lumière, générant un environnement changeant. Dans cette tragédie de la parole où les personnages ne meurent pas, passant leur temps à soliloquer, les angles droits et les lignes soulignent la difficulté du toucher pour des corps debout et par instants cisaillés. Loin du Titus sculptural de Richard Fontana, Jérémie Lopez (remarquable), chaloupe, s’agite puis s’apaise, ferme dans sa résolution, puis murmure, épuisé à la fin quand Antiochus et Titus fusionnent, un homme est à genoux, vaincu; sa vie, il le sait, ne sera plus qu’un champ de ruines.

Des pinceaux de lumière dessinent les profils, une heure quarante cinq pour se dire adieu. Vêtue d’une tunique moulante et aérienne, Suliane Brahim apparaît telle une reine orientale, une Cléopâtre sans ors ni apparat, une exilée par amour, captivante, confiante, elle frémit, on retient son souffle. Alexandre Pavloff, loin de jouer les utilités est un confident deux en un très incarné, manipulateur, machiavélique, politique jusqu’au bout des ongles.

Dehors c’est dedans, les décors sont en soi la scénographie avec ces hauts murs où s’inscrivent des traces du monde et ces panneaux coulissants qui glissent. Guy Cassiers compose sa mise en scène en plasticien, les couleurs, les matières, les sons (un peu bruyants par moment) interagissent avec les acteurs, il ralentit ou accélère leurs pas au rythme de la musique racinienne. Un moment d’intimité, de grâce, sans enflure, simple et clair, parfaitement interprété, cette Bérénice capte des identités foudroyées par la rencontre, que la tragédie saisit dans leur chute, un requiem des cœurs et des corps tragiquement désunis.

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

Bérénice de Jean Racine

Mise en scène : Guy Cassiers

Scénographie :  Guy Cassiers, Bram Delafonteyne

Costumes : Anna Rizza

Lumières : Frank Hardy

Vidéo : Bram Delafonteyne, Frederik Jassogne

Musique et son : Robin Ormond

Avec : Alexandre Pavlov, Clotilde de Bayser, Suliane Brahim, Jérémy Lopez, Pierre-Victor Cabrol

Durée : 1h45

 

Jusqu’au 11 mai 2025

Mardi à 19h, du mercredi au samedi à 20h30, dimanche à 15h

 

Comédie-Française, Théâtre du Vieux-Colombier

21 rue du Vieux-Colombier

75006 Paris

 

Réservation : 01 44 39 87 00

https://reserver.comedie-française.fr

 

Tournée :  

14 et 15 mai 2025, Maison des arts de Créteil

20 mai 2025, l’Onde Théâtre de Vélizy-Villacoublay

12 juin 2025, Théâtre national de Budapest (Hongrie)

 

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed