À l'affiche, Critiques // Bekannte Gefühle, Gemischte Gesichter, conception et mise en scène de Christoph Marthaler, Anna Viebrock et la troupe de la Volksbühne, à La Grande Halle de la Villette / Festival d’Automne à Paris

Bekannte Gefühle, Gemischte Gesichter, conception et mise en scène de Christoph Marthaler, Anna Viebrock et la troupe de la Volksbühne, à La Grande Halle de la Villette / Festival d’Automne à Paris

Nov 22, 2019 | Commentaires fermés sur Bekannte Gefühle, Gemischte Gesichter, conception et mise en scène de Christoph Marthaler, Anna Viebrock et la troupe de la Volksbühne, à La Grande Halle de la Villette / Festival d’Automne à Paris

 

© Walter Mair

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Une salle de musée décati, quelques traces sur les murs de tableaux aujourd’hui disparus et puis eux. Ces vieux, plus ou moins à vrai dire, arrivés en caisse, promptement déballés et qu’on installe là comme autant de pièces archéologiques, témoins d’un passé qu’on dit révolu. Ils étaient comédiens, ils le sont encore probablement. Mais aux tournées succèdent désormais cette exposition itinérante qui les voit exposés tels des œuvres d’art surannées sorties des années 50 et 70. Fantômes qui se refusent à disparaître et qui errent en ces lieux, traînant avec eux des bribes d’une carrière, des restes de personnages qui leur collent encore à la peau, des chants entonnés jadis, tout ça enfouis désormais au plus profond d’eux-mêmes et qui sans nul doute ont laissé des traces fragiles mais durables. Et ce sont ces traces-là, au laminoir du temps, qu’interroge avec bonheur Christoph Marthaler.

Il y a vingt-cinq ans Christoph Marthaler et Anna Viebrock débarquaient avec leurs complices, acteurs et musiciens, à la Volksbühne, le théâtre du peuple de l’ex-Berlin-Est, à l’invitation de Frank Castorf. Rencontre fructueuse, heureuse collaboration avec la troupe permanente. Frank Castorf est parti, la troupe n’est plus. Bekannte Gefühle, Gemischte Gesichter (Sentiments connus, visage mêlés) c’est un adieu sans vraiment de nostalgie, quoique,  mais avec une vraie, une immense tendresse pour ces acteurs et comme toujours avec un formidable sens du burlesque et de l’absurde, un humour pince-sans-rire irrésistible. Mais se glisse ici quelque chose d’indicible, de troublant et de véritablement profond. Ces acteurs sur le plateau jouent aujourd’hui leur propre rôle, les chaises déglinguées transbahutées d’un endroit à l’autre du plateau portent leur nom véritable. Il n’y a plus de masques, plus de personnages à jouer. Ils sont eux même, à la recherche de leur propre identité. Ce qui se joue là c’est la mémoire même de ces comédiens, les souvenirs cristallisés de ce qu’ils furent en scène au long de ces années berlinoises, les créations de la Voksbühne et ce qu’il en reste désormais. Combien aussi le temps et l’appréhension des rôles ont pu modifier ce qu’ils étaient. C’est ce décalage qui, avec maestria et douce mélancolie, est mise en scène par Christoph Marthaler.

Avec comme toujours ce souci et ce sens précis du détail, parfois minuscule, souvent incongrus, complétement loufoque dont on se demande toujours à quoi cela va servir et mener, même quand il ne mène à rien comme cet ascenseur dont la porte donne dans le vide. Où ces violons détruits, tout un symbole, dont ils ne restent que des fragments et dont on tire quand même une partition à pleurer. Et puis ces comédiens, complices de longues dates, comme surgis ici d’un autre temps. Taiseux, on parle toujours peu c’est vrai chez Christoph Marthaler, mais dont les corps ont cette faculté à se plier en quatre, au sens propre comme au figuré, pour exprimer les sentiments les plus ténus. De drôles de zèbres, de doux-dingues à vrai dire. D’authentiques hurluberlus, de vrais zinzins, d’une troublante, voire inquiétante banalité, flegmatiques jusque dans les situations les plus improbables. Apparence trompeuse tant certains détails là aussi, quelques attitudes imprévues, dénuées de logique apparente, gestuelle décalée et imprévue, démentent très vite une première impression. Capables de s’agiter par à-coup, drôle de mécanique à vrai dire, ou d’improviser une danse follement libre et jubilatoire mais avec toujours le plus grand sérieux. Ou de rire, superbe scène que celle-là, rire à n’en plus pouvoir, rire longtemps, sans aucune explication. Et de chanter, beaucoup, merveilleusement. Instants fragiles et précieux, temps suspendu. Mozart, Schubert, Schoenberg et même, moment sublime d’égarement pour nous spectateurs, Bobby Lapointe. Instant de communion collective où tout s’apaise, où la mélancolie qu’on tentait vainement de contenir jusque-là éclate comme un long sanglot, retourne comme un gant la folie douce, étouffe le rire. Expression pudique et magnifique enfin d’une nostalgie qui ne veut pas s’avouer. Tout simplement bouleversant.

Et dans cette tentative d’exprimer ce qui fut, dans le constat cinglant et sans amertume de ce qui en reste, rôles aujourd’hui en lambeaux, émiettés dans un espace désespérément vide, un musée sans public, ultime cruauté, ils sont tout simplement poignants de vérité et de justesse derrière l’absurde et l’humour qui drape à peine l’inquiétude qui les traverse. Étrange et déchirant miroir que ces rôles jadis joués, personnages qui ne vieilliront pas, probablement pas, qui les ont marqués, façonnés sans aucun doute et dont la mémoire s’efface lentement, la vieillesse venue malgré la résistance, la persistance volontaire et perdue d’avance à les évoquer pour ne pas disparaître tout à fait.

 

© Walter Mair

Bekannte Gefühle, gemischte Gesichter (sentiments connus, visage mêlés), spectacle de Christoph Marthaler, Anna Viebrock et la troupe de la Volksbühne

Mise en scène de Christoph Marthaler

Dramaturgie Malte Ubenauf, Stéphanie Carpe

Musique Tora Augestad, Bendix Dethleffsen, Jürg Kienberger

Son Klaus Dobbrick

Lumières Johannes Zotz

Décors et costumes Anna Viebrock

Avec Hildegard alex, Tora Augestad, Marc Bodnar, Magne Havard Brekkle, Raphael Clamer, Bendix Dethleffsen, Altea Garrido, Olivia Grigolli, Ueli Jäggi, Jûrg Kienberger, Sophie Rois, Ulrich Voss, Nikola Weisse

 

Du 21 au 24 novembre 2019 à 20 h

Dimanche à 16 h

 

 

Grande Halle de la Villette

211 avenue Jean Jaurès

75019 Paris

 

Réservations 01 40 03 75 75

www.lavillette.com

 

Festival d’Automne à Paris

Réservations 01 53 45 17 17

www.festival-automne.com

 

 

 

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