Critiques // « Battlefield », adaptation et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, au Théâtre de Bouffes du Nord

« Battlefield », adaptation et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, au Théâtre de Bouffes du Nord

Sep 18, 2015 | Commentaires fermés sur « Battlefield », adaptation et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, au Théâtre de Bouffes du Nord

ƒƒƒ article de Camille Scordia

cote-slide-battlefield-2© Simon Annand

Le Mahabharata, littéralement « La Grande Guerre des Bharata », est le récit de la mythologie hindoue. Sur une scène vide où ne figurent qu’un musicien et un tissu jeté à terre, la pièce commence au crépuscule d’une guerre exterminatrice. Cette longue guerre opposait deux clans d’une même famille, la famille de Bharata. Le vainqueur de celle-ci, Yudishtira, doit maintenant monter sur le trône, et laisser derrière lui le triste spectacle d’une terre marquée par des milliers de morts. Aux côtés du vieux roi aveugle, qui vient de perdre tous ses fils, ses remords sont aggravés par la révélation que lui fait sa mère : il a non seulement tué des milliers d’hommes, mais, parmi eux, son propre frère. Yudishtira doit désormais assumer son passé : va-t-il parvenir à oublier sa culpabilité de fratricide ? Y a-t-il un sens à sa victoire quand tant de personnes ont été sacrifiées sur son autel ? Épaulé par sa mère, il prend conseil auprès du sage Krishna, qui, à travers de nombreuses allégories, guide le jeune Yudishtira dans la quête d’un apaisement intérieur.

Avec Battlefield, Peter Brook reprend le Mahabharata, mis en scène en 1985, et donne une nouvelle démonstration de sa vision du théâtre : un théâtre épuré, un théâtre de l’immédiateté. Sans décor, quatre comédiens portent seuls la narration d’une épopée. De leur anglais limpide et délié, ils donnent vie aux vers du plus grand poème jamais composé. Pour incarner ce drame, les comédiens ne se prêtent à aucune supercherie. Leur jeu, d’une sincérité troublante, emporte immédiatement le spectateur dans un horizon qui, sans la qualité de l’interprétation, pourrait lui paraître lointain, dans le temps comme d’un point de vue géographique. Le contexte n’a, dans ce théâtre, aucunement besoin d’être raconté par un décor puisqu’il est seul exprimé par l’interprétation des comédiens, dont les postures, gestes, mouvements sont naturellement narratifs.

En prenant un texte aux racines et ramifications si vastes que le Mahabharata, Battlefield cherche évidemment à en montrer le caractère universel. A travers de nombreux tableaux, allégories de l’histoire du héros jouées par les quatre comédiens, les principes de la pensée hindoue se dévoilent un à un. Sagesse, justice, ordre moral : ils se dégagent à l’issue de scènes qui sont de véritables mises en abyme du drame que vit le protagoniste. Faisant écho aux questionnements de notre civilisation de guerres, celles-ci entraînent le spectateur dans une dimension nouvelle, coupée de la diégèse, un hors temps poétique qui célèbre la puissance de l’imagination. Peter Brook semble démontrer ici combien la qualité d’un spectacle repose sur l’interprétation de ses comédiens. Immergés dans les vapeurs du Gange, ils semblent littéralement être à leur place, et non sur le plancher d’un théâtre. En explorant les multiples possibilités de la mise en scène et en s’appuyant sur le talent de quatre comédiens, Battlefield ressuscite une civilisation. Émergeant d’un temps ancien qui n’a, pour la plupart des spectateurs, aucun ancrage, la fresque du Mahabharatara est d’une richesse insoupçonnée. « Le Mahabaharata n’est pas seulement un livre, ou une série de livres, c’est un champ immense, qui couvre tous les aspects de notre existence. On y trouve les questions essentielles qui concernent notre vie, des questions qui sont à la fois contemporaines et urgentes ».

C’est de cette contemporanéité que s’empare Battlefield.

Battlefield
D’après le Mahabharata et la pièce de Jean-Claude Carrière
Adaptation et mise en scène Peter Brook et Marie-Hélène Estienne
Musique Toshi Tsuchitori
Costumes Oria Puppo
Lumières Philippe Vialatte
Musicien Toshi Tsuchitori
Avec  Carole Karemera, Jared McNeill, Ery Nzarambaet, Sean O’Callaghan
 
Du 15 septembre au 17 octobre 2015
Du mardi au samedi à 20h30,
Relâche le dimanche (excepté le dimanche 27 septembre : représentation à 20h), relâche le samedi 26 septembre
Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis, boulevard de la Chapelle – 75018 Paris
réservations 01 46 07 34 50
www.bouffesdunord.com

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